Rendez-vous en 1929

Pou pou pou…
1er janvier 2022, je découvre le nouveau #Geneatheme proposé par Généatech…
Je n’y pensais pas encore…
Va falloir drôlement se creuser la tête !

Aucun lien familial avec Louis Braille. Raté pour l’alternative, et je n’ai pas bien envie d’écrire au sujet de ce monsieur, pour admirable que soit son invention de l’écriture à l’usage des personnes aveugles ou très malvoyantes.

Pas l’ombre d’un ancêtre aveugle sur mes branches.
Rien vu sur les registres que j’ai pu consulter au fil de mes recherches.

Il y a bien ma grand-mère paternelle qui ne voyait presque plus rien à la fin de sa vie.
Ma pauvre Mémère ne pouvait plus lire.
Elle continuait de regarder les photos que nous lui montrions sur la télé ou les albums, mais je n’ai jamais su si elle voyait suffisamment, ou si elle voulait nous faire plaisir en s’extasiant sur les images.
Elle ne pouvait plus écrire non plus et le dernier petit carnet-journal qu’elle tenait chaque jour s’arrête brusquement en cours d’année, avec une très grosse écriture, presque indéchiffrable.

Pou pou pou…

Je ne vais tout de même pas rater un #Geneatheme !

Aveugles, malvoyants…
On est bien une famille de myopes !
Est-ce que ça marche les myopes, Généatech ?
Pas de scrupules, parlons des myopes.
Il y a à dire avec six myopes dans un cercle familial très rapproché. Un cercle si petit qu’il compte encore cinq contemporains.

Le premier myope connu de la famille, c’est mon grand-père maternel, Célestin « Ernest Fernand MILLIARD (1909-1997), dit Pépère Nénesse.
Comment le situer ? Je vous explique : Pépère Nénesse est le fils d’Amélie BRAULT, la fillette abandonnée avec ses trois petits-frères.
Pépère Nénesse est aussi le fils de Georges MILLIARD, ancien combattant de 14-18. Vous vous souvenez, Ernest lui avait écrit une carte de vœux le 24 décembre 1916.

Voilà ! J’ai le sujet de mon #Geneatheme de janvier. Maintenant il me faut faire quelques recherches. A plus tard…

Coucou, me revoici !
Une quinzaine de jours se sont écoulés depuis que j’ai écrit la première partie de cet article. Il est temps de le terminer, d’autant plus qu’il est déjà tard ce soir.

Problème. C’est que je n’ai pas beaucoup avancé dans mes recherches.
Comment avoir des renseignements fiables sur la myopie d’une personne ?
Pour un homme, il y a bien la fiche matricule, mais je n’y ai pas accès pour Pépère Nénesse.
Trop récent pour que sa fiche soit en ligne et comme je ne peux pas me déplacer aux archives, nada !

Oh, puis zut, je tombe de sommeil. Je vais aller me coucher.

« Au suivant ! »
Que se passe-t-il ?
« Au suivant ! »

J’ai le sentiment d’entendre la chanson de Jacques Brel(1).
« Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne
J’avais le rouge au front et le savon à la main
« Au suivant, au suivant »
J’avais juste vingt ans et nous étions cent vingt
À être le suivant de celui qu’on suivait (…) ».

Non, vous pouvez être rassurés, je ne suis pas « au bordel ambulant d’une armée en campagne ».
Par contre j’ai bien l’impression d’assister à un conseil de révision.
Des jeunes hommes attendent leur tour, complètement nus en file indienne, les mains croisées sur leur sexe.
Là-bas un bureau avec un homme en train d’écrire une fiche matricule.
Description physique, taille, niveau d’instruction. Et puis à intervalles réguliers, vlan ! Un coup de tampon ! Et vlan, un autre coup de tampon.

Je m’approche. Il faut que je puisse mieux voir ce qu’il fait. Encore quelques pas.
Vlan ! classe 1929. Et vlan, « Bon pour le service ».

Tiens tiens… Classe 1929, ça tombe bien, je vais peut-être rencontrer Pépère Nénesse.
Je traverse la salle. Un peu plus loin, un médecin militaire fait lire un optotype à une jeune recrue.
Le jeune homme hésite, ânonne, se reprend.
Encore quelques pas, je vais voir son visage.

Mince ! C’est Pépère Nénesse !
Pas de doute, la petite taille, les traits, la voix, c’est bien lui !

Je me cache derrière le paravent. J’ai bien envie d’écouter ce que le médecin va lui dire.

Il y a peu, quand j’ai consulté la fiche d’un aïeul, en 1866, j’ai lu que quelqu’un avait été exempté pour myopie.
Le tirage au sort était alors en vigueur et beaucoup de jeunes hommes échappaient au service militaire.
En 1929, ce n’est plus le cas. Le service militaire universel a été établi à partir de 1905. Pépère Nénesse ne devrait pas y échapper.

Le médecin s’assoit à son bureau. Ernest est debout devant lui.
« Votre vue n’est pas bonne. Il faut corriger ça. »
Le docteur se tourne, ouvre un tiroir et en sort une paire de lunettes.
Deux ronds de verre, cerclés de métal et reliés par une tige courbe. Les branches sont arrondies pour faire le tour des oreilles.
Le médecin tend la monture à Ernest, lui dit d’essayer ça, et de reprendre la lecture.
C’est mieux, Pépère parvient presque à lire entièrement les lettres dessinées sur l’optotype.

J’en ai assez vu, je sors discrètement de la grande salle.
Je comprends mieux comment mon grand-père a gardé toute sa vie ces lunettes.
Il nous a toujours soutenu qu’il n’avait pas besoin de consulter un ophtalmologue. Il voyait parfaitement avec ses binocles.
Nous en doutions fortement, d’autant plus quand on montait en voiture avec lui. Sa conduite n’était pas très rassurante.

« Attention ! »
Pépère Nénesse est venu nous chercher, mon frère et moi, à la gare.
Il enclenche la marche arrière de sa Lancia et recule. Il n’a pas même jeté un regard dans le rétroviseur et manque d’emboutir la voiture qui est derrière.
Mon frère crie encore une fois. Que se passe-t-il ?

Je me réveille brusquement.
Mon visage heurte le clavier d’ordinateur. N’est-ce pas plutôt le dossier du siège passager de la Lancia ?
Un peu déboussolée, je comprends enfin que je me suis endormie.
Je suis partie en rêve pour un nouveau #RDVAncestral, sans quantiquette cette fois.

Deux heures du matin ! Il est temps de regagner mon lit maintenant. Voilà que je reprends le sommeil biphasique de nos aïeux (2).
Je réfléchis encore un peu à la psychogénéalogie. Est-il possible qu’autant de membres de la famille soient myopes, parce qu’Amélie BRAULT a été abandonnée par ses parents ?
Comme s’il était inscrit dans la chair de son fils, qu’il faut se méfier de ses proches.
Comme si les descendants d’Amélie devaient développer la vue de près.
Comme s’ils avaient un besoin impérieux de voir très net ce qui se passe tout près d’eux.

Je baille, jette un dernier coup d’œil à la pendule du salon (3) à mon réveil. Trois heures, ce n’est plus l’heure de ce genre de question.

(1) Jacques Brel, Au suivant, 1963 et 1966.
(2) Cf. le Tweet de @BellePioche du 10 janvier 2022 et les commentaires qui ont suivi, notamment le lien vers l’article « Y comme… Y-a-t-il… ? » de Traces et Petits Cailloux.
(3) Jacques Brel, Les Vieux, 1963 et 1966.

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