Rendez-vous de guerre

Troisième samedi du mois de mars 2022, il est 14 heures, le bon horaire pour partir en #RDVAncestral.

J’ouvre mon logiciel de généalogie.
Aujourd’hui ma quantiquette reste dans son sac de toile, bien rangée dans le placard du bureau.
Aujourd’hui, je voyage sur informatique : l’actualité est trop prégnante pour ne pas faire de parallèle entre hier et les dernières semaines que l’Europe vient de vivre.

Ce 24 février, comme chaque matin avant de partir au travail, j’ai allumé le petit poste de radio de la salle de bains, et j’ai entendu l’inconcevable : les troupes de Vladimir Poutine ont envahi l’Ukraine quelques heures plus tôt.
Le dirigeant russe a annoncé sa décision à 5h48 dans une allocation télévisée. Il y a annoncé ce qu’il appelle la « dénazification » de l’Ukraine et son soutien aux séparatistes prorusses du Donbass.

Trois semaines plus tard, 3,3 millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays et 6,5 millions de personnes se retrouvent sur les routes*.

Au cours d’une conversation téléphonique, Maman me disait combien la guerre en Ukraine lui rappelait ce qu’elle avait vécu.
En 1940, elle n’était qu’une toute petite fille. De quoi se souvient-elle ?

Je sors de mes pensées. Mon fichier Heredis est ouvert depuis longtemps. Je clique et accède à la fiche de Maman. Je l’avais interrogée sur cette période il y a quelques mois.
Finalement, c’est sur celle du grand-père que j’ai noté le fruit de notre discussion.

Avant-guerre, Célestin « Ernest » Fernand MILLIARD (1909-1997) a été licencié de la fonderie des Petits Champs à Wassy (Haute-Marne) pour faits de grève.
Il avait été considéré comme meneur avec ses beaux-frères, Bernard LOUCHENIQUE (1910-2001) et Roger MURER (1913-1991).
Ernest a retrouvé du travail, loin de Wassy, à Bourges (Cher) dans l’usine aéronautique SNCAC.

Et puis la guerre s’est invitée dans la vie.

Le 10 mai 1940, les Allemands entrent aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique, puis pénètrent en France. Aussitôt Ardennais, Lorrains, et autres gens du Nord prennent la fuite.
Ils essaient de gagner Paris, puis le Centre et le Sud-Ouest.
Fin mai, Bordeaux accueille 1 800 000 réfugiés dit-on.

Maman et ses parents, Ernest et Lucienne n’iront pas jusque-là.
Mais ils partent aussi.
Celle qui était encore loin d’être la Mamie Cotte que l’on connaît, part en exode, à pied sans doute.
La famille arrête sa fuite à Aigurande dans l’Indre voisin, tout près de la Creuse, à une centaine de kilomètres de Bourges.
Là, ils se sont cachés dans une cave pour échapper aux bombardements.
Une balle est entrée par un soupirail, a frôlé Maman. Son père a eu peur.
La balle a tué une dame.

Comment sont-ils retournés à Bourges, Mamie Cotte ne m’a rien dit là-dessus. Il faudra que nous en reparlions.

Le 19 juin 1940, les Allemands entrent à Bourges. Ils réquisitionnent l’usine de la S.N.C. A.C., et les logements des 300 familles du quartier de l’Aéroport.
Bourges se retrouve en zone occupée.
A l’usine, les ouvriers tentent de retarder la production allemande. Ils sabotent comme ils peuvent.
Certains sont découverts et déportés.
Pour tous, il faut aussi assurer le quotidien, alors ils fabriquent quelques ustensiles de cuisine.
Pépère Nénesse a conservé de cette période un petit plat en aluminium.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Quelqu’un l’a-t’il récupéré ?

Entrée de la S.N.C.A.C – Document 46, photographie, 1940-1944, 7 Fi Bourges 1369 – AD Cher

Durant cette période, la famille réside dans trois logements différents :

  • Le premier était juste en face en face de l’usine.
  • Ils ont bien failli subir des bombardements dans le second.
    Des bâtiments voisins ont été détruits et Maman se souvient avoir joué avec des camarades dans les décombres des appartements.
  • Le dernier était situé à côté du terrain d’aviation.

A plusieurs reprises, la petite famille a été témoin de bombardements.
Est-ce inscrit dans mes gènes, pour que j’ai peur des pétards et que je déteste le bruit des feux d’artifice ?

La guerre en Ukraine m’a ramenée à cette période que nous croyons tous révolue en Europe.
Quelle tristesse de voir les Ukrainiens vivre ce que nos proches ont subi il y a seulement quatre-vingts ans.

Je referme mon logiciel de généalogie.
Un bien triste #RDVAncestral aujourd’hui.


Et je ne peux m’empêcher de murmurer :

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là…

Quelle connerie la guerre…

Barbara, Jacques Prévert, Paroles, 1946.

Sources :
Histoire de l’aéronautique dans le Cher 1910-1945, Archives départementales du Cher.
« L’Exode » : une marée humaine de 1 800 000 réfugiés a déferlé sur Bordeaux en juin 1940, France 3 Nouvelle Aquitaine, 8 et 12/06/2020.


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