Confort moderne de nos familles

De Bourges à Saint-Dizier en passant par Wassy (1ère partie)

Dimanche 17 avril 2022, un dimanche de Pâques comme d’autres…
Pas tout à fait.
La veille j’ai terminé et publié un #RDVAncestral-#Généathème, effleuré la question de l’eau qui s’est posée à Bailly-Aux-Forges (Haute-Marne) pendant quelques années.
La soirée télé s’annonce, quels sont les programmes ?

La Cinq diffuse, en première partie de soirée, un documentaire, qui paraît peu ragoutant, intitulé « la grande bataille des toilettes »*.
Mais à défaut d’autre chose, autant se cultiver et en savoir davantage sur ce sujet peu commun.

Croyez-moi si vous voulez, je n’ai pas regretté mon choix.
Un film très intéressant, un sujet de société, qui nous fait réfléchir à l’avenir de l’élimination ou à la transformation de nos déjections.

Pour ma part, la généalogie n’est jamais très loin de mes préoccupations et au réveil, en repensant à ce reportage, j’ai eu l’idée de rechercher quand nos familles ont pu disposer de ce confort moderne : Avoir des toilettes à la maison.

J’ai bien quelques souvenirs d’enfance, mais imprécis, alors un mail rapide pour associer frères, sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, sans oublier Maman et Monsieur mon mari. Nous sommes les uns et les autres issus de régions différentes, cela pourrait être intéressant.

Et figurez-vous que nos générations ont beaucoup à dire à ce sujet, au point que je vous proposerai plusieurs billets.
Donnons la parole à Maman, après tout, c’est elle qui doit avoir le plus de souvenirs.

Je l’ai expliqué dans un article de juillet dernier, Maman, alias Mamie Cotte, a vécu une partie de son enfance à Bourges (Cher). Avec ses parents elle résidait à proximité des usines berruyères de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre (SNCAC).

Pendant la 1ère guerre mondiale, Bourges est devenue un très grand centre de production d’armement.
En 1928, l’industrialisation avait encore progressé avec l’installation de l’usine d’aéronautique Hanriot, qui deviendra la SNCAC.
Dès 1922, la population augmentant très rapidement, le maire, Henri LAUDIER avait créé un Office Municipal d’Habitation Bon Marché.

Outre le besoin de logements, les préoccupations du maire étaient paternalistes et hygiénistes.
Les épidémies de choléra du XIXème siècle avaient laissé de mauvais souvenirs et des milliers de morts en France. Après la santé des hommes, les urbanistes ont conçu dans toute l’Europe des logements plus lumineux et pourvus de confort. Il y fera bon vivre en lieu et place des taudis pestilentiels.
Pour l’entreprise Hanriot, ces constructions permettaient de tenir les ouvriers à proximité de leur lieu de travail et de limiter les déplacements.

A Bourges, l’édification du quartier de l’aéroport a démarré en 1931. Quelques années plus tôt le projet avait été préparé avec le soutien d’Henri SELLIER, berruyer de naissance. Cet ami d’Henri LAUDIER est le fondateur de la Fédération Nationale des Offices Publics d’HBM, et l’un des pères de nos HLM.

L’appartement qu’occupait Mamie Cotte avec ses parents comportait des toilettes mais pas de salle de bains. « L’appareil à douche » était encore réservé aux logements « améliorés ». Tout de même, logements individuels et collectifs étaient environnés d’espaces verts. Le quartier était si agréable qu’au moment de sa rénovation, en 2005, certains habitants y logeaient depuis plus de cinquante ans.

Après la guerre et le remariage de son père, Ernest MILLIARD (1909-1997) avec Lucette BIZET (1925-1970), Mamie Cotte rejoint sa Haute-Marne natale.
La famille emménage d’abord à Valcourt en 1951 puis au 55 avenue du Général Sarrail à Saint-Dizier, deux ans plus tard. Pas plus de salle de bains dans ces maisons individuelles que dans les logements de Bourges.

A Valcourt, Mamie Cotte se souvient que la maison était pourvue de toilettes, mais avenue Sarrail retour à la cabine dans le jardin.
Les autres éléments de confort n’étaient pas plus développés.
Pas de réfrigérateur à Valcourt, les MILLIARD en étaient encore au garde-manger.
Avenue Sarrail, il a fallu attendre la naissance de la petite dernière pour acheter un lave-linge Bendix. Mamie Cotte s’en rappelle parfaitement : auparavant c’est elle qui faisait les lessives à la main pour les sept membres de la famille.

Machine à laver Bendix publicité de 1954
(Capture d’écran 2022-04-24 EBay)

Il faut dire qu’en 1954, seuls 7,5% des ménages français possédaient un réfrigérateur et 8,4% une machine à laver. Alors finalement les MILLIARD étaient bien placés côté modernité.

Pas beaucoup de chauffage non plus dans cette maison. Une cuisinière dans la cuisine pour faire les repas, un poêle dans le salon, que l’on ne mettait en route que le dimanche. Rien dans le séjour et les chambres. Il a fait si froid l’hiver 54, qu’il y avait de la glace sur les vitres des chambres, à l’intérieur et volets fermés !
C’est bien cet hiver-là qu’il y a eu du verglas tout au long du mois de février, et que les arbres semblaient être en verre se souvient Maman.
On comprend l’appel de l’abbé Pierre.

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… »

Les WC n’étaient toujours pas installés en 1958, quand Mamie Cotte a intégré l’Ecole Normale d’Instituteurs et d’Institutrices de Chaumont (Haute-Marne).

Après sa formation elle a commencé sa carrière à Rachecourt-sur-Marne, puis à Autigny-Le-Petit. Les logements des instituteurs n’étaient pas plus luxueux que les maisons de ville. WC à Rachecourt, mais toujours pas de salle de bains. A Autigny, il n’y avait même pas l’eau courante en 1960. L’eau, c’était à la pompe de l’école qu’il fallait la tirer et pour les toilettes au fond du jardin.

La pompe, cela évoque à Mamie Cotte sa grand-mère, Amélie BRAULT (1879-1960). En 1947, elle vivait à Wassy (Haute-Marne) et ne disposait pas de l’eau courante. Elle devait aller chercher son eau à la pompe, en face du temple. Pour laver son linge, elle allait à la fontaine, près des promenades avec sa brouette et sa lessiveuse.

Dans quelques jours je vous proposerai une suite à ce tour du confort de nos familles. Quelques autres informations sur Saint-Dizier et alentours, puis nous traverserons la France d’est en ouest pour découvrir si Bretons et Charentais étaient mieux lotis que les Haut-Marnais.

*La grande bataille des toilettes, Arnaud Robert, diffusé dans Le Monde en face, La 5, le 17 avril 2022.

Pour en savoir plus sur le documentaire :
“La Grande Bataille des toilettes”, une enquête dont on avait besoin, Isabelle Poitte, Télérama
La révolution des toilettes, Arnaud Robert, Heidi.News.

Illustrations sur Bourges :
Archives du Cher Captures d’écran 23 avril 2022
Laissez-vous conter le quartier de l’aéroport, Villes et Pays d’art et d’histoire Bourges, Brochure du Service du Patrimoine de la Ville de Bourges (Montage de captures d’écran du 23 avril 2022)

Sources :
Contexte France, Thierry Sabot, Editins Thisa, 2021.
Les villes transformées par la santé, XVIIIe-XXe siècles, Sabine Barles, Dans Les Tribunes de la santé 2011/4 (n° 33), pages 31 à 37.
Architecture et formes urbaines au défi des épidémies, Pr Jean-Louis Cohen, Sciences sociales et humanités, Novembre 2020
Vers un nouvel hygiénisme ? Albert LEVY, Revue Belveder n°6, Décembre 2019.
Histoire de l’aéronautique dans le Cher 1910-1945, Archives départementales du Cher Service Educatif.
Patrimoine. A Bourges, découvrez la cité jardin du quartier de l’aéroport, Jérémy Allebée, France 3 Centre Val de Loire, 26/01/2022.
Laissez-vous conter le quartier de l’aéroport, Villes et Pays d’art et d’histoire Bourges, Brochure du Service du Patrimoine de la Ville de Bourges.
Les cités jardins de Bourges, Roland NARBOUX, L’encyclopédie de Bourges.
La croissance urbaine de Bourges des années 1830 à 1940, Archives départementales du Cher Service Educatif, dossiers pédagogiques.
Les HLM en expos, Musée virtuel du logement social
L’appel de l’Abbé Pierre, du 1er février 1954, La Fondation Abbé Pierre.

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