Souvenez-vous, Mathilde, il y a déjà plus de dix ans que nous nous sommes rencontrées au détour de dossiers d’archives. Avant cela je ne savais presque rien de vous, seulement que vous aviez commis l’irréparable pour une mère, abandonner vos enfants.
Vous avez abandonné vos quatre petits Mathilde.
Gaston, qui n’avait pas trois semaines, Georges, Charles et mon arrière-grand-mère Amélie Marguerite BRAULT. C’était le 11 septembre 1890 et vous avez amené vos petits au commissariat du quartier Santé Petit Montrouge du XIVème arrondissement de Paris.
Vous viviez à quelques centaines de mètres, au 176 rue de la Glacière, juste à côté du parc Montsouris. Peut-être y avez-vous promené Georges et Charles, peut-être y avez-vous laissé jouer Amélie ?
Ce funeste 11 septembre 1890, vous avez dévoilé votre vie à ce commissaire de police.
Il n’y avait plus grand-chose à manger à la maison. Votre métier de couturière ne vous rapportait qu’un franc cinquante par jour et votre époux Hyacinthe ne gagne plus rien depuis qu’il était malade.
Comment nourrir les enfants, quand le loyer est si élevé ? Trois cents francs l’an.
Vous aviez demandé du secours. Les cinq francs octroyés ont été vite épuisés.
Rien non plus du côté des grands-parents de vos petits, ils étaient tous morts alors. Votre père Ferdinand Jean HILLAIRET était parti depuis trois ans déjà, décédé au 33 rue de la Bûcherie, à deux pas de Notre-Dame-de-Paris.
Alors vos quatre petits, il a bien fallu s’y résoudre. Pour leur bien, il a fallu les délaisser, vos quatre enfants, le même jour.
Le commissaire a fait son devoir. Il vous a dit que ce n’était pas temporaire. Il vous a avertie que c’était un abandon, que par conséquent vous seriez dans l’ignorance absolue des lieux où ils seraient placés, qu’en aucune façon vous ne pourriez communiquer avec eux, que vous pourriez juste savoir s’ils étaient morts ou vivants, tous les trois mois. Et puis il vous a rappelé les dispositions du Code pénal. Quel cauchemar !
Qu’êtes-vous devenue, Mathilde ? J’ai perdu votre trace à partir de ce jour funeste.
Oh bien sûr, je vous en ai voulu et je ne suis pas la seule. A commencer par Amélie, votre fille, mon arrière-grand-mère.
Il faut dire qu’après leur abandon, vos enfants ont eu une vie difficile. Ils n’ont pas été très longtemps à l’école. Il leur a fallu travailler dur dans les fermes de Côte-d’Or. Des trois garçons, aucun n’a eu d’enfant. Seule Amélie a pris le risque d’avoir un fils. Vos descendants ne sont pas nombreux, Mathilde.
Et puis la famille compte beaucoup de myopes. C’est bien connu, il faut se méfier de ses proches et aiguiser sa vue de près. On ne sait jamais, un abandon suffit.
Mais aujourd’hui, je suis heureuse de vous le dire, je vous pardonne, Mathilde.
La vie est si difficile pour certaines mamans.
Est-ce bien à moi d’ailleurs de pardonner ?
Qu’est-ce que j’en sais des soucis des mères de cette fin du XIXème siècle ?
Au moins je peux vous assurer que nous vous avons bien cherchée, mes contemporains et moi, vos descendants.
Votre petit-fils a épousé Lucienne, puis Lucette, pour faire toute la lumière sur ce que vous étiez devenue. Certains ont vécu tout près du parc Montsouris pour vous retrouver. D’autres sont nés un 14 mars, le jour où l’on fête les Mathilde. D’autres encore ont songé à donner votre prénom à leurs filles. Mais rien. Et jusqu’alors le mien n’a pas rempli sa mission.
Laurence, n’a pas rendu Mathilde à sa famille.
Alors je vous imagine, jeune mère de trente ans avec vos quatre petits. Je vous imagine quand tout allait bien. Vous étiez blonde peut-être, comme ma jeune contemporaine, qui porte comme prénom une variante de Mathilde. Ou bien vous portiez haut le blond vénitien que vous avez légué à quelques descendants, la peau claire avec de minuscules taches de rousseur ?
Mathilde, est-ce votre portrait qu’EvazéSir ont graffé sur le mur d’enceinte du commissariat de police du XIVème arrondissement ?
Aujourd’hui, dimanche 29 mai 2022, on fête les mères, Mathilde.
Alors je voulais penser un peu à vous, mère courage, et puis chercher, chercher encore, pour vous retrouver, un jour peut-être.
Par petites touches un hommage en pudeur
Article très touchant, tout en retenue…. savez-vous où était situé le commissariat du quartier Santé Petit Montrouge ?
Je pense que c’est toujours le commissariat du 15 avenue du général Leclerc, précisément là où cette fresque a été peinte.
A ma connaissance le commissariat ne se trouve avenue du Gal Leclerc que depuis peu, il a déménagé suite au travaux du bâtiment qui l’abritait avant avenue du Maine. Mais avant l’avenue du Maine (bâtiment relativement moderne) je ne sais pas où le commissariat été situé, avenue du Gal Leclerc ?
J’ai trouvé dans Gallica le renouvellement du bail du local où était installé le commissariat du Petit Montrouge et de la Santé fin 1897/début 1898, l’adresse était donc 99 rue Dareau. On peut supposer que c’était déjà le cas en 1890…
Merci, je vais regarder cela.
Bel article. Pour vos recherches concernant Jean HILLAIRET, si vous ne le savez pas déjà, le 33 rue de la bûcherie est une annexe de l’hôtel-Dieu. Certains de mes collatéraux y sont nés. Si vous souhaitez en savoir plus sur son décès à 33 ans, les archives de l’AP-HP devraient pouvoir vous aider. Au plaisir de vous lire
Oh ! Merci, Stéphanie, je ne savais pas du tout cela. Je vais effectivement pouvoir poursuivre mes recherches. 👏👍
De rien bonne recherche 🥰
Que d’émotion dans ces deux billets. Quelle souffrance, quelle misère et pourtant c’est si proche de nous dans le temps. 130 ans ce n’est rien.
Les plaies restent présentes au fil des générations. Mon intérêt pour la généalogie n’est pas étranger à l’histoire de ces deux femmes, sans doute.
Si j’en crois le plan parcellaire municipal de Paris (fin 19e) dispo sur le site des archives de Paris (cote PP/11958/B pour la partie qui ns intéresse) le 99 rue Dareau d’alors est le 41 rue Rémy Dumoncel actuel puisque cette partie de la rue Dareau a été renommée rue Rémy Dumoncel après la 2GM. Immeuble faisant l’angle rue Rémy Dumoncel / rue Montbrun. Passionnant j’en apprends plus sur mon quartier !
Quant à Mathilde et sa famille, ils résidaient au 176 rue de la Glacière, l’actuel 34 rue de l’amiral Mouchez.