Pas si facile de savoir comment vivaient nos ancêtres. Les registres paroissiaux et l’état-civil nous livrent des actes juridiques, nets, précis mais déconnectés de la vie. Pour ce qui est du quotidien, compliqué d’en retrouver les traces.
J’en suis là de mes réflexions ce samedi 17 juin 2023. Penchée sur mon clavier, cela fait déjà plusieurs minutes que je m’égare. Je parcours Combrit Sainte-Marine de long en large, j’explore les lieux-dits familiers, du nord au sud et d’est en ouest : Froutguen, Le Haffond, Kerangrand, Saint-Vennec, Tromarzin… Comment dit-on aujourd’hui ? Kergrand ou Kerangrand ? J’ai oublié. Il y a tellement de lieux-dits ici ! Les Jézéquélou de mon étude ont vécu dans une centaine d’endroits différents, et j’ai lu quelque part que la commune en compte cent-cinquante.
Cela ne me fait pas bien mal aux pieds de courir la campagne bigoudène. Aucun risque d’attraper des ampoules, mais un léger mal de crâne commence à poindre. Faut dire, à force de se triturer les méninges ! Et cet article qui n’avance pas !
Soudain, un craquement du plancher, je sursaute. Je me retourne. Une femme entre dans la pièce. Elle porte un vêtement d’un autre siècle : jupe au bas brodé, large tablier. Le col très ouvragé me rappelle quelque chose, pourtant sa coiffe ne s’élève pas beaucoup.
« Bonjour. Ma Doué ! Je ne voulais pas vous effrayer. »
Encore tout à ma surprise, un peu sur mes gardes, je demande :
« À qui ai-je l’honneur ? »
– Je suis Marie Catherine Jézéquélou. Mais, appelez-moi Catherine, s’il vous plait, car c’est ainsi que les miens me nomment. Je sais que vous connaissez bien ma famille. Je suis la fille aînée de Jean, la petite fille de Jeanne Garin. »
– Ah ça par exemple ! Je ne m’attendais pas à ce qu’un membre des Jézéquélou me rende visite. »
Catherine sourit :
« Je ne suis pas venue en quantiquette, mais j’ai de quoi me déplacer dans le temps. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui. Je suis pressée et je voulais vous apporter un coup de main pour vos recherches. »
Mille questions se bousculent dans ma tête. Avec un tel fouillis de pensées, impossible de reprendre la parole. Catherine a déjà enchaîné.
Elle me raconte qu’enfant, sa grand-mère lui avait parlé de moi, de notre rencontre fortuite.
C’est vrai, Jeanne m’avait très gentiment ouvert sa porte. Elle m’avait proposé de sécher mes vêtements trempés après un amerrissage mémorable. Nous avions bavardé. Joli souvenir, je suis contente que Jeanne ait aussi apprécié notre rencontre.
Une interrogation émerge enfin du chaos de mes pensées :
« Catherine, puis-je vous poser une question ?
– Bien sûr, je suis venu pour ça ! Si je peux vous aider, ce sera avec plaisir.
– J’avais remarqué que, chez elle, votre grand-mère avait de belles et grandes armoires et du linge à foison. Que sont devenus ses biens ? Sont-ils restés dans la famille ?
– Voyons ! J’étais jeune à l’époque, je ne me souviens plus très bien. »
Elle rit. Puis, malicieuse, Catherine reprend :
« Mais, vous qui avez rendu visite à ma grand-mère il y a quelques semaines, vous pouvez me rappeler les meubles que vous avez vus ? »
Bonne idée ! Je me concentre et parcours mentalement la maison. Je lui livre mes souvenirs à haute voix :
« Dans la cuisine, je me souviens d’une table, d’un banc avec des accoudoirs. Un autre banc près du lit. La table perpendiculaire à la fenêtre, des lits disposés de part et d’autre de la cheminée et une armoire à deux battants, qui fermait à clé. »
Catherine me félicite : « Quelle précision ! »
– Cette armoire, c’est mon père qui en a hérité. Elle est toujours chez nous. Ça me revient maintenant, elle était dans le haut bout. Il y en avait une autre armoire sur un support, plus petite. Je l’ai revue chez mon cousin de Plomelin. Mais, mamm-gozh en avait encore deux dans la chambre. »
Je l’interromps :
« Ce que vous appelez la chambre, c’est le bas bout ? »
Elle acquiesce, m’encourage à poursuivre.
« Hum… Je crois qu’il y avait un lit dans cette partie de la maison et surtout le matériel de la ferme : des outils de menuisier, du chanvre broyé, des écheveaux de fil, des marmites et chaudrons. De quoi faire du beurre aussi. J’ai vu plusieurs barattes de différentes tailles, des pots garnis de sel avec leur cuillère, du saindoux. Votre grand-mère m’avait expliqué qu’elle avait quelques vaches et un cochon.
– Vous avez parfaitement raison. Elle avait trois vaches, que je gardai souvent. Une noire, une chatain… Comment était la dernière ? Je ne sais plus du tout. Mon père a hérité du cochon.
Quand elle vous a prêté une chemise pour faire sécher vos vêtements, mamm-gozh l’a tirée de son armoire de mariage. Savez-vous que la tradition veut qu’en dot la mariée reçoive un tel meuble ? »
Encouragée par mon étonnement, Catherine poursuit :
« C’est l’occasion d’une fête. Les parents de la mariée se doivent de faire rentrer l’armoire dans la maison, tandis que ceux de l’époux, sont censés ne pas l’accepter trop facilement. On discute, les femmes préparent des crêpes, on offre du cidre. Il faut voir ça ! Ça vaut le déplacement une « fest an armel ».
Pourquoi pas ? J’ai bien envie de refaire un voyage au XIXe siècle.
« Si ça vous tente, je vous inviterai un de ces jours », ajoute ma visiteuse.
« Désolée, je dois vous quitter. On m’attend. Kenavo ! »
Catherine tourne les talons et sort de la pièce.
Je me précipite dans le couloir. Trop tard, elle a disparu. Je ne saurai pas aujourd’hui quel engin l’a conduit jusqu’ici.
Sources :
Pour Marie Catherine Jézéquélou (1810-1867), archives départementales du Finistère, Etat-civil de Combrit, naissance 3 E 51/10/8, mariage 3 E 51/21/2 ; décès à Tréméoc 3 E 370/34.
Inventaire après décès et partage des biens de Jeanne Garin, archives départementales du Finistère, 4 E 206/41.
BOUËT, Alexandre, PERRIN, Olivier, Breiz-Izel ou la vie des Bretons de l’Armorique, Paris, Seghers, 1986, « collection Mémoire Vive ».
C’est sympa aussi quand nos ancêtres viennent à notre époque …. J’avais moi aussi eu droit à une visite imprévue il y a presque deux ans … 😉… https://geneascribe.fr/2021/03/20/rendez-vous-ancestral-inverse/
C’est réconfortant de savoir que nos ancêtres apprécient le #RDVAncestral et jouent le jeu