Quelques mariages intergénérationnels à travers les siècles
Longtemps, au contraire de la chanson, le mariage a été la norme et les célibataires ne sont pas légion parmi nos ancêtres. Il n’était d’ailleurs pas rare qu’une même personne ait plusieurs mariages à son actif. Les femmes payaient souvent la maternité de leur vie, pour élever leurs enfants et donner des bras supplémentaires au foyer, les hommes se remariaient. Pourtant, parmi les unions, une catégorie est moins fréquente : le mariage intergénérationnel.
Découverts au fil de mes recherches personnelles et professionnelles, deux exemples me restent en mémoire.
Le premier événement s’est déroulé en Bretagne, plus précisément en Pays Bigouden.
Le mardi 29 janvier 1704, Yves Le Bidon (vers 1652-1712), ménager du lieu de Froutguen, épouse, à Combrit, Françoise Prigent. L’homme est déjà quinquagénaire, quand il prend pour femme cette jeunette de vingt-trois ans. Vingt-huit printemps d’écart, ce n’est pas la seule touche d’originalité de ces épousailles : Françoise est la servante d’Yves. Elle n’est pas majeure au moment de la célébration, mais, quelques semaines plus tôt, le substitut de Monsieur le procureur de l’ancienne baronnie du Pont a pris le décret de justice, qui s’impose. Ce mardi de 1704, Yves est de nouveau jeune marié.
Il était temps. En mars, Françoise met au monde une petite Madeleine, première fille du couple, mais septième enfant de son papa. D’un autre lit, Yves avait eu quatre filles et trois garçons. Lorsque la mère, Marie Diffiou, décède en couche en 1702, l’aînée n’a que douze ans. Françoise Prigent s’occupe de la fratrie et devient la maîtresse d’Yves. Dans quelques circonstances ? Les actes paroissiaux ne le disent évidemment pas, bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui.
Au siècle suivant et en terres champenoises, j’ai découvert un second cas de remariage intergénérationnel, celui du couple François Collot (1739-1820) – Marie Jeanne Richalet (1759-1814). Cette fois, nous frôlons ma généalogie avec ce collatéral, car l’homme est pour moi un oncle par alliance. Un oncle un peu éloigné, car je suis une nièce à la 7e génération de Jeanne Richalet (1751-1777), seconde épouse de François Henry, garde des bois de Monseigneur l’Évêque de Châlons, abbé de Montier-En-Der, de son état. Et ce n’est pas tout : je suis aussi une nièce à la 8e génération de Marie Jeanne Richalet (1759-1814), quatrième épouse du sieur Collot.
François et Marie Jeanne ont deux décennies d’écart. Une dernière fois, Monsieur se marie à quarante ans. Madame a tout juste vingt printemps. Il est veuf et sans descendance. Les six enfants de ses premiers lits sont décédés en bas âge. Une des jumelles, qu’il a eues avec Jeanne, n’a même pas eu le temps d’avoir un prénom. Quant à ses épouses successives, elles sont mortes en couches, ou dans les mois qui ont suivi la naissance d’un enfant.
Marie Jeanne donne, à son époux, la descendance tant attendue. Un garçon d’abord, puis une fille. Les deux petits portent le prénom de leurs parents, François pour l’aîné et Jeanne pour la cadette. Mais le sort s’acharne encore sur le garde. Il enterre sa demoiselle en 1807, puis sa femme en 1814. Du côté de son fils, il est plus chanceux, sa lignée est assurée, il peut partir en paix. Le 25 novembre 1820, il s’éteint à quatre-vingt-un ans.
Chacun sait que la mémoire est sélective et derrière ces vies édifiantes, j’avais oublié d’autres mariages intergénérationnels. Une bonne vingtaine de ces unions figurent sur mes branches et celles de Pierre Jezequelou, le personnage central de mon étude combritoise. Pourtant, à ce jour, aucun cas dans lequel la mariée est la plus âgée.
Parmi mes aïeux, le couple le plus proche de moi, est celui qu’a formé mon grand-père, Ernest Milliard (1909-1997), et sa seconde épouse, Lucette Bizet (1925-1970). Seize ans les séparaient. Je n’ai pas gardé le souvenir de cette différence d’âge, seulement celui de la douceur de cette belle-grand-mère, trop tôt disparue.
Les écarts d’âge entre les époux sont parfois conséquents. Quand Jacques Quineau (1749-1812) épouse Marie Lebert, en secondes noces, Monsieur a soixante et un an, madame, vingt-huit. Et ce 28 août 1810 à Château-du-Loir, dans la Sarthe, ils profitent de l’occasion pour légitimer leur fillette de seize mois.
Comme d’autres généalogistes, j’ai tenté de remonter mes branches jusque Charlemagne. Les recherches sont amusantes, étourdissantes, mais sujettes à caution. Je me garderai de vous donner des exemples de ces périodes plus anciennes et me contenterai de me tourner vers l’histoire avec un grand H. Je l’écrivai plus haut, rien dans les actes d’état civil et les registres paroissiaux n’indique que les mariages intergénérationnels soient plus heureux ou plus malheureux que les autres. Pour cela, il nous faut nous tourner vers les récits historiques.
Il est un exemple de couple intergénérationnel où Monsieur a finalement fait sa demande. Un couple ô combien non-conformiste pour le siècle. Vingt-trois ans les séparaient, les études les rassemblaient. Les épreuves subies n’ont pas eu raison de leur amour. Pour Abélard, recluse depuis dix ans, Héloïse prend la plume.
C’est pour soulager les personnes enfermées comme moi, que les lettres ont été inventées ; je porterai les vôtres sur mon sein, je les baiserai sans cesse ; mais je ne veux point qu’elles vous coûtent de peine : écrivez-moi sans application, avec négligence ; que votre cœur me parle, et non point votre esprit.
Lettre d’Héloïse à Abélard
Sources :
– BRASSENS, Georges, « La non-demande en mariage », https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i05062547/georges-brassens-la-non-demande-en-mariage, site de l’Institut National de l’Audiovisuel, consultation du 05/11/2024.
– CGF, Base RECIF, N-1680-2929600-50214-00719, Tréméoc, Baptêmes, mariages et sépultures, 1679 à 1680.
– AD29, 3 E 51/1, Registres paroissiaux et d’état civil de Combrit, 1703-1718
– AD52, Edepot02349, registres paroissiaux et d’état civil, collection communale, Robert-Magny.
– www.asso.roglo.eu, site de l’association créatrice de Roglo, base généalogique collaborative, consultation du 04/11/2024.
– DELACROIX, Joëlle, Héroïnes du Moyen-âge, de Sainte-Geneviève à Anne de Bretagne, Paris, Armand Colin, 2024.
– Héloïse, Abélard, « Les lettres et épîtres amoureuses d’Héloïse et d’Abailard, traduites librement en vers et en prose par MM. de Bussy-Rabutin de Beauchamps, Pope ; Colardeau, Dorat, Feutry, Mercier, G**. Dourxigné, Saurin, etc. précédées de la vie, des amours et infortunes de ces célèbres et malheureux époux, Au Paraclet, www.gallica.bnf.fr, mise en ligne en 2013, consultation du 05/11/2024.
Les grands écarts d’âge n’étaient pas si rare lors des remariages en effet. J’ai de mon côté un cas de femme plus âgée, et pas qu’un peu !
https://autantdenosancetres.wordpress.com/2020/12/11/le-remariage-de-cecile-puvre/
Il suffirait de quelques riens juste quelques années de moins … Regianni.
Le couple non conformiste, pour le siècle, on pense immédiatement à Ma cousine Brigitte et son Emmanuel…
Mon arrière-grand-père a épousé mon Arrière-grand-mère (logique!!) en 3ème noce … Ils avaient 32 ans d’écart