Départs pour l’étranger

J’adore les défis généalogiques, outre le challenge UPro-G, mon association professionnelle, je participe régulièrement à un challenge mensuel d’écriture numérique : le rendez-vous ancestral. Créé en 2016 par un généablogueur, il s’agit, chaque troisième samedi du mois, d’aller à la rencontre d’un de nos ancêtres et de raconter cette entrevue fictive. Comme, en sus, j’adore les histoires, j’ai créé un personnage extraordinaire, une généalogiste nommée Annabelle Lucarne. Cette héroïne voyage dans le temps à bord d’un engin très spécial appelé quantiquette. Cette trottinette quantique est dotée d’un GPS de même technologie. Il suffit qu’Annabelle effectue quelques réglages et elle part à la rencontre de ses aïeuls, des miens, ou des vôtres.

Pour ce mois de janvier 2025, le sujet de l’Union Professionnelle de Généalogistes est le départ vers l’étranger. Retrouvons Annabelle à Bordeaux, en compagnie de Pierre Bouvier, jeune médecin, qu’elle a déjà rencontré notamment le 4 novembre 1901, lors de sa remise de diplôme.

Kapp, Charles, La Terre, globe en puzzle, Gallica.bnf.fr, Bibliothèque nationale de France

Vers les Amériques

« Par ici ! »
Pierre Bouvier se retourne, me cherche. J’agite les bras. Oups ! Je vais me faire remarquer. Une femme, qui hèle un homme, en plein café de la gare, ça n’est pas très bien vu au début du XXe siècle. Mais c’est efficace. Pierre me salue et se dirige vers la table que j’ai choisie dans un angle de la grande salle. J’ai pu ranger la quantiquette dans son sac de toile, elle est ainsi à l’abri des regards qui désapprouvent mon appel tonitruant.

Mon ami s’installe. On échange quelques banalités. Dès que nous avons passé commande, Pierre me dit :
« Vous vouliez que je vous parle de quelques membres de ma famille, je crois ?
– Tout à fait, je m’intéresse à nos ancêtres partis pour un autre pays et j’ai cru comprendre que vous aviez des exemples familiaux.
– Il s’agit d’aïeuls du côté maternel. J’ai hérité de leur prénom, puisqu’ils s’appelaient tous deux Pierre. Le premier était un arrière-grand-père. Tout comme moi, il était médecin, ou plus exactement chirurgien. Je ne crois pas que ma mère l’ait vraiment connu. Elle n’avait que six ans quand il est parti pour les Amériques. »

Pierre m’explique ce qu’il a appris de ses proches.
Pierre Brunet est né quelques années avant la Révolution à Saint-Médard-d’Eyrans, en Gironde. Docteur en chirurgie, il épouse à Bordeaux une demoiselle Mougneau. Le couple a au moins trois enfants, dont la plus jeune est la grand-mère de mon interlocuteur, Élisabeth Brunet. La jeune femme se marie avec un autre Pierre, Pierre Dominique Duprat, pharmacien de son état.

Pour des raisons professionnelles, que mon ami ne connaît pas, les deux hommes partent pour La Nouvelle-Orléans. Ils s’y installent pendant quelques années, laissant à Bordeaux et à Blanquefort, épouses et enfants.

« Mais, ils ne sont jamais rentrés des Amériques. Pierre Duprat, mon grand-père, est décédé à Pointe-Coupée en Louisiane en 1853.
Pierre Brunet, resté à La Nouvelle-Orléans, ne lui survécut que de quelques années. »

Le plus difficile pour les proches, m’explique le jeune médecin, est le fait d’avoir appris tardivement le décès des deux hommes. Les courriers que le vieux chirurgien avait envoyés à sa fille ne lui sont pas parvenus. Elle a appris la mort de son mari, puis celle de son père par missives du consul, reçues avec plusieurs mois de retard.

Quelle souffrance ! Je lis dans les yeux de Pierre que la douleur est encore vive un demi-siècle plus tard.

Ascendance Pierre Bouvier-généalogie de Laurence Porte
Arbre en ligne Geneanet capture d’écran du 18/01/2025

Le silence est tellement pesant que je crois bon de changer de sujet.

Arrivée en France

« J’ai eu à connaître un cas bien différent au cours de mes recherches. Des amis m’ont rapporté la venue en France de Belges.
– Je suppose que ces personnes ont immigré pour des raisons professionnelles ? » reprend Pierre.

Il a vu juste. Au XIXe siècle, la Belgique peine à nourrir ses enfants. Si beaucoup d’ouvriers franchissaient pour un temps la frontière et s’installaient dans le nord de la France, les ancêtres d’Andrée Cinet sont venus de la région de Namur pour travailler en Haute-Marne.
1874, Paul Cinet épouse Aglaé Lalin à Domblain. Le jeune homme vit à quelques kilomètres de là, à Valleret, chez ses parents, Hubert et Isabelle Préion. Tous trois sont nés en Belgique, à Franchimont. Le père et le fils sont mineurs. Ils travaillent ensuite à Pont-Varin, avant que Paul ne se fixe définitivement à Domblain.

« Les Cinet ont ainsi fait souche en Haute-Marne. »
– Voilà un départ pour l’étranger réussi, même si je suppose qu’ils ne sont pas devenus riches et puissants.
– Pour ça, non, mais est-ce le but de la vie ? »

Pierre me regarde en souriant :
« Il y aurait beaucoup de déçus. »

Cette fois, nous rions franchement tous les deux. La pause, que le jeune médecin s’est accordée pour que nous puissions nous rencontrer, s’achève. Nous nous promettons de nous retrouver de nouveau dans quelque temps, puis chacun reprend son chemin.

« Au revoir, Pierre. » Je prends mon sac. La quantiquette n’est pas très lourde, je gagne rapidement le quai de gare. J’entends derrière moi, la voix de mon ami :
« À bientôt, Annabelle. »

Ascendance d’Andrée Cinet-généalogie Laurence Porte
Arbre en ligne Geneanet capture d’écran du 18/01/2025

Sources :
– Archives départementales de la Gironde
-Archives Bordeaux Métropole
– Annuaire La Nouvelle-Orléans 1855, en ligne sur Family Search
– Centre des Archives Diplomatiques de Nantes
– Archives départementales de la Haute-Marne
– Archives Générales du Royaume de Belgique

Mes très sincères remerciements :

À l’amie généalogiste qui m’a communiqué le fruit de ses recherches au Centre des Archives Diplomatiques de Nantes.

À mon cousin de Belgique pour la généalogie Cinet.

1 commentaire

  1. Un sympathique jeune médecin qu’il aurait été dommage qu’Annabelle ne rencontre pas … et passer du « rêve américain » pour finir par franchir la frontière France/Belgique 🧐

Laisser un commentaire