Souvenir de rendez-vous

Aujourd’hui #RDVAncestral, cela va changer des longues recherches où l’on se fatigue les yeux, où l’on s’agace parce que les registres sont lacunaires voire perdus.
Je n’ai pourtant pas envie de sortir ma quantiquette de son sac. Voyageons par la mémoire.
Embarquement immédiat ! Vous me suivez ?

Que ceux qui ont le mal de mer ne craignent rien. Nous partons sur la côte, mais nous ne prendrons pas le bateau aujourd’hui, même pas pour traverser l’océan.

Eté 1993, pour les vacances, le choix se porte sur la Bretagne.
J’habitais encore le nord haut-marnais, alors la Bretagne c’était exotique, rafraichissant aussi, en opposition avec les étés secs et sans air de ma Champagne natale.
Au programme tour de la région : Saint-Malo, Dinard, puis les Côtes-d’Armor ; le Finistère, le Morbihan, pour terminer par Rennes, je crois.

Qu’est-ce que j’ai dit ? Les Côtes-d’Armor ? Non, pas de doute, en 1993 cela fait trois ans que les Côtes-Du-Nord sont devenues Côtes-d’Armor, bien plus joli et surtout bien plus breton.
Au compte des escales costarmoricaines, Perros-Guirec bien sûr et un petit peu plus à l’ouest Pleumeur-Bodou.
Je ne sais plus comment j’ai trouvé cette destination. Une demande à l’ancienne, documentation de l’office de tourisme, ou bien déjà pianotage sur un clavier ? C’était l’époque du minitel et j’avais économisé pour acheter mon premier ordinateur.

Aujourd’hui le site de l’office de tourisme de la Côte de Granit Rose ne manque pas plus qu’hier de conseiller une visite au Parc du Radôme et à la Cité des Télécoms.
C’est ce que je fis cet été-là et à deux ou trois reprises depuis.
Comme à mon habitude, j’avais étudié les sites à visiter sur le Guide Vert de Michelin. Vieille habitude familiale transmise par maman.

La cité des Télécoms était au programme de la matinée.
Le radôme avait cessé de fonctionner en 1985 et le musée avait ouvert ses portes deux ans plus tôt. Une visite historique et technique incontournable.

La veille, la découverte de Ploumanac’h et de l’Ile Grande m’avait permis de reconnaître la route. Le détour par la côte, sur la D788, s’imposait pour gagner Pleumeur-Bodou.
A Penvern, juste après avoir traversé le ruisseau de Kerhuel, on bifurque à gauche en direction de Pleumeur-Bodou. D’ailleurs une pancarte indique le Parc du Radôme.
On ne voit pas vraiment le monument historique avant d’arriver à la Cité des Télécoms. La végétation est importante et malgré sa belle silhouette de bulle blanche, il reste caché derrière les arbres.

Mais c’est quoi le radôme ? Une sorte de gros ballon qui protège une antenne de radiodiffusion.
Sous son enveloppe pressurisée, l’antenne est bien à l’abri des intempéries et de l’espionnage industriel. 9000 m², il en faut des kilos de peinture pour garder à la bulle sa blancheur immaculée.

Le radôme (Site de la Cité des télécoms le 19/06/2021)

La voiture garée, j’étais entrée dans la Cité des Télécoms pour une visite en deux parties : musée et radôme.
Partie exposition, j’étais partie à la découverte des pionniers de la communication, du télégraphe, de ces immenses câbles qui franchissent les océans et qui nous ont permis d’échanger avec l’Angleterre depuis un siècle et demi.
Traversée du XXème siècle, les différents téléphones à cadran, à touches.
1993, les téléphones sans fil apparaissent, et c’est même le début du téléphone mobile avec la 2G. Bien sûr j’ai eu mon tout premier portable une dizaine d’années plus tard.
Les cabines chez l’habitant, les cabines publiques à pièces puis à carte ont connu quelques belles années, puis le minitel et le cybercafé, avant nos smartphones.

Téléphone etc… (Réalisé avec Canva)

Je ne me souviens plus très bien quels jeux vidéo faisaient fureur en 1993 ? Mon frère a eu une console sur laquelle on jouait au tennis avec deux traits et un point ; ma sœur, un minuscule jeu où il s’agissait de récupérer des petits pompiers sur une toile tendue.
C’était peut-être quelques années plus tôt ?

Ce dont je me rappelle bien c’est la seconde partie de la visite, celle du radôme.
On quitte les expositions, on change de bâtiment, et on gagne l’immense bulle blanche, faite de toile de 2 mm d’épaisseur.
A l’intérieur, tout une machinerie. Au sol une sorte de grande roue crantée. On se croirait dans un théâtre. D’ailleurs un grand écran nous fait face. On s’assoit, moteur ! C’est parti pour un morceau d’histoire de la télévision.

Vue de l’antenne cornet PB1 du Radôme de Pleumeur-Bodou
(https://histoire.orange.com/fr/iconographie/antenne-cornet-pb1/ le 19/06/2021)

Le 10 juillet 1962, le satellite Telstar est lancé dans l’espace depuis Cap Canaveral. Le lendemain a lieu la première transmission télévisée en direct entre les USA et l’Europe, entre Andover et Pleumeur-Bodou. Le site a été choisi à proximité du CNET (Centre National d’Études des Télécommunications), pour son sol granitique, et sa situation au milieu de collines. Pas de perturbations électromagnétiques dans ce coin de Bretagne.
En quelques mois le radôme est construit et abrite la grande oreille, l’antenne de réception de la mondovision.
L’implantation du CNET à Lannion n’était guère plus ancienne que celle du radôme. La petite ville bretonne l’avait emporté sur Grenoble grâce à Pierre MARZIN (1905-1994), ingénieur, et directeur du Centre National d’Études des Télécommunications, trégorois de souche.

« Monsieur Marzin, alors ! »
« Monsieur le Président. Nous l’avons vu, le CNET ne peut plus se développer dans la région parisienne. On doit donc chercher une deuxième implantation en province. Et voici pourquoi, moi, je vous propose la Bretagne, en particulier la région de Lannion. C’est d’abord que c’est une région qu’il faut absolument industrialiser si on ne veut pas qu’elle meure. Et le CNET servira de moteur à une décentralisation industrielle plus vaste. Ensuite la main-d’œuvre y est abondante et excellente. J’ajoute qu’il n’y a pas de pollution atmosphérique, ni radioélectrique, et ça c’est très important pour nos travaux. Enfin puisque c’est mon pays, je peux bien vous dire que le site est extrêmement agréable, aussi bien pour les chercheurs à venir, que pour les familles et ceci est très important, surtout par rapport à la région parisienne. »
« Bon. Monsieur Marzin, vous avez le feu vert pour Lannion. »
[1]

La tension, qui règne sous la toile le 10 juillet 1962, flotte encore dans l’atmosphère pressurisée du radôme.
Les jours précédents, le travail avait été intense, il fallait achever l’antenne. Le weekend s’était passé au boulot pour les techniciens et ingénieurs.
Est-ce que ça allait marcher ? Pierre MARZIN avait répondu qu’il fallait. « J’crois que le plus anxieux c’était quand même le directeur, Monsieur Marzin, qui nous avait dit à un moment donné, eh les gars, faut pas qu’ça crame, faut pas qu’ça foire, si ça foire, j’ai mon sac »[2].

A 0h47 apparaît enfin l’image.
Quelques secondes pour comprendre que l’Amérique est en direct, les applaudissements et les cris de joie retentissent.
Prouesse technique, la « grande antenne » a trouvé toute seule le satellite grâce à la poursuite automatique.

En octobre 1962, le Général De Gaulle inaugurera la station spatiale de Pleumeur Bodou. Quelle fierté encore pour Pierre MARZIN !

Pierre Marzin et la saga électronique en Bretagne In Bécédia le 19/06/2021
http://bcd.bzh/becedia/fr/pierre-marzin-et-la-saga-electronique-en-bretagne

Ma visite au radôme touchait à sa fin cet été-là. Nous étions entrés par la droite, on nous fit sortir sur notre gauche. Là, au milieu du passage une petite statue brune. Le buste de Pierre MARZIN et quelques informations. En 1993, l’ancien directeur du CNET, devenu maire de Lannion et sénateur, était encore en vie. Cela m’a surpris ce buste installé là de son vivant. Je me souviens être restée un moment à le regarder, à lire les quelques lignes.
Ai-je eu le sentiment inconscient que je le retrouverai ailleurs, dans la maison qu’il possédait à quelques kilomètres, à Trébeurden ? Une dizaine d’années plus tard, nous avons eu un second rendez-vous. J’allais épouser l’un de ses petit-fils et Pierre MARZIN deviendrait ainsi un grand-père par alliance.


[1] In A l’écoute des étoiles – Satellite TELSTAR – Pleumeur Bodou Loïc CHAPRON et Rolland SAVIDAN (4 :15 – 4 :58)
[2] In A l’écoute des étoiles – Satellite TELSTAR – Pleumeur Bodou Loïc CHAPRON et Rolland SAVIDAN (33:36 – 33 :46)

Sources :


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