Famille Perrin, une autre épidémie : Antoine Perrin, le benjamin

Antoine est le plus jeune des enfants de Pierre Perrin et Jeanne Bulard qui soit parvenu à l’âge adulte. Il est aussi le seul à ne pas avoir vécu l’épidémie de choléra.
Pourtant il ne semble pas possible de passer sa courte vie sous silence, car il a vécu un épisode singulier de l’histoire de France.

Antoine Perrin naît le 3 février 1793 à Trémilly (Haute-Marne). Il est le septième enfant que Jeanne met au monde. Son père, Pierre déclare sa naissance à la mairie. Il est accompagné de François Thiéblemont et de Louis Barnabé Verrat, maçon. Pas de mention du parrain et de la marraine puisque l’état civil a été confié aux communes quelques mois plus tôt. Pierre Perrin a alors trente-deux ans, il est recteur d’école à Trémilly.
Louis Geant, membre du Conseil général de la commune, qui enregistre la naissance d’Antoine, indique que le bébé naît en l’an II de la République. Étonnant, pourquoi un mélange de calendrier grégorien et républicain ? En fait, c’est seulement le 5 octobre 1793 (le 14 vendémiaire an II) que la Convention fait débuter de l’ère républicaine le 22 septembre 1792, jour de la proclamation de la République.

Comment se déroule l’enfance d’Antoine Perrin? Je n’en ai qu’une vague idée. Après sa naissance, la famille aurait pu s’agrandir encore. Quatre filles et deux garçons viennent encore au monde mais décèdent en bas âge.

Sur le terrain politique, l’enfance d’Antoine se déroule en des temps très perturbés.
Quelques jours avant sa naissance, le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné place de la Révolution, future place de la Concorde.
Deux mois plus tard, en mars, le mécontentement gronde en France quand la Convention décide d’une levée de 300 000 hommes pour renforcer les effectifs des armées républicaines.
Fin juillet 1794, la petite sœur, Edmée Angélique, va sur ses trois mois, la Terreur prend fin, Robespierre est guillotiné à son tour.

23 septembre 1795, une nouvelle constitution est adoptée. C’en est fini du suffrage universel, des références aux droits au travail, à l’assistance et à l’instruction. Le Directoire est installé un mois plus tard.
Pierre Perrin n’est plus recteur d’école, il a repris son premier métier de tonnelier. Il est vrai que la période est difficile pour l’enseignement scolaire. Les instituteurs sont rétribués par les familles et les communes peuvent exempter les enfants d’école, pour cause d’indigence.
Un nouveau garçon arrive chez les Perrin, cet automne-là. Charles Joseph ne vit qu’une semaine.

En octobre 1796, Antoine n’a pas encore quatre ans quand naît une nouvelle petite sœur, Jeanne Joséphine. Les guerres de Vendée sont terminées depuis cinq mois, et ce sont maintenant les monarchies européennes qui font la guerre à la France Républicaine.
Napoléon Bonaparte est en Italie, il remporte des victoires et devient très populaire. Après la Campagne d’Égypte, il rentre en France et prend le pouvoir le 18 Brumaire An VIII (9 novembre 1799).

Juillet 1801, le traité de concordat est signé à Paris par les représentants du Premier consul et du pape Pie VII. Il organise les relations entre l’Église catholique et l’État et la pratique des cultes. Jusqu’en 1905, archevêques et évêques seront nommés par le gouvernement.
Antoine est de nouveau le dernier enfant de la famille, quand en décembre, Jeanne Bulard accouche d’une petite Marie Louise, le 13 frimaire an X (4 décembre 1801).
Sur l’état-civil, on ne retrouve que la naissance de la petite Marie Louise Perrin.
Quand son père, Pierre, la déclare en mairie, il est charpentier. Un nouveau changement de métier pour l’homme de quarante et un ans.
Jeanne n’est plus toute jeune, la quarantaine comme son mari. Pourtant elle met encore au monde deux enfants, Nicolas Martin* en mai 1803, puis Adélaïde Geneviève Joséphine en novembre 1804.

A la naissance de cette dernière fille, les ainés ont respectivement : vingt et un ans pour Jean Joseph ; dix-neuf ans pour Pierre Nicolas ; quinze ans pour Marguerite.
Antoine, lui, a onze ans et neuf mois. Accompagne-t-il son père pour déclarer la petite dernière ? Un dénommé Antoine Perrin, manouvrier, est noté comme premier témoin. Le second est Adélaïde Geneviève Joséphine Chevillot, sans doute la marraine, mais il ne serait pas de bon ton de l’écrire sur le registre.
Se pourrait-il qu’Antoine soit le parrain de sa petite sœur ? Qu’il travaille déjà n’est pas étonnant. La première loi qui fixe l’âge minimum du travail à huit ans date de 1841.

Antoine n’a certainement pas suivi tous les événements politiques qui ont jalonné son enfance. Mais peut-être a-t-il eu connaissance de celui du 2 décembre 1804, quelques jours après la naissance de cette éphémère petite sœur** : Napoléon est sacré empereur à Paris.

Fin des naissances pour la famille de Pierre Perrin et Jeanne Bulard, le temps des mariages est venu. En tant qu’aîné, c’est bien sûr Jean « Joseph » qui commence, et épouse Madeleine Thérèse Jacquinet, en janvier 1805, à Trémilly. Antoine prend vite du galon et devient l’oncle d’une petite Marguerite Joséphine en mai 1806. Ce même jour, une couronne impériale est ajoutée à l’insigne de la Légion d’honneur.

1809, Antoine a seize ans, il accompagne son frère Jean « Joseph » pour déclarer le décès de son neveu Nicolas Prosper. Heureusement il sera aussi le témoin de moments plus heureux, comme le mariage de son frère Pierre « Nicolas » à Cirey-sur-Blaise, fin novembre 1810. Quelques semaines plus tôt, Napoléon a averti le sénat que l’impératrice Marie-Louise attendait un enfant.

Et puis voilà qu’Antoine est cité comme témoin de la naissance d’une autre nièce. Une autre Marie Louise, mais, son prénom usuel est Eulalie : Marie Louise « Eulalie » Perrin (1811-1884), ma Sosa 39.

Signatures des frères Perrin, Nicolas, Antoine et Joseph, au bas de l’acte de naissance de Marie Louise Eulalie Perrin
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Oh ! Erreur sur le registre d’état civil :  Antoine n’a pas vingt et un ans comme le note le maire, mais seulement dix-huit.
Voilà une mention erronée, qui amène beaucoup de questions sur les dernières années de vie d’Antoine. Le jeune homme est décédé le 9 janvier 1814 à Vaucouleurs (Meuse). Il était alors soldat de l’Empire. J’ai bien retrouvé son acte de décès dans les archives de la Meuse et l’extrait mortuaire transmis à Trémilly, mais entre l’acte de naissance de sa nièce et ces documents, tout n’est que flou et suppositions.

Reprenons. Mars 1811, Antoine a dix-huit ans et le maire de Trémilly le vieillit de trois ans. Est-ce à dire qu’il s’est déjà enrôlé volontairement dans l’armée ? Ou bien qu’il figurait par erreur sur la liste des conscrits ?
La conscription est mise en place en 1798 (loi Jourdan-Delbrel) puis rationalisée en 1804 par le décret impérial du 8 nivôse an XIII.
Le gouvernement fixe chaque année les besoins en hommes pour chaque département, qui répartit ensuite les conscrits entre arrondissements et cantons.
Le maire dresse la liste des conscrits. Le tirage au sort a lieu au chef-lieu de canton. Puis, la liste départementale est établie.
Le conseil de recrutement se tient alors en public et en présence du préfet et de représentants militaires. Il se prononce sur les cas de dispense, de réforme et d’exemption. Enfin, la liste définitive classe les hommes en six catégories : exemptés, ajournés, fraudeurs, absents, détenus et bons pour le service. A huis clos, le conseil réalise des substitutions pour que le département respecte dans tous les cas son contingent.
On procède au tirage au sort ; tirer le bon numéro, c’est échapper au service : plus le nombre est grand, mieux c’est.

Engagé volontaire ou conscrit, le résultat est le même pour Antoine, il part. Est-il immédiatement incorporé comme « fusilier au premier Régiment d’Infanterie de ligne, premier Bataillon, première Compagnie » ? Il ne figure pas sur les registres matricules des soldats napoléoniens.
Il part en uniforme bleu national, pantalon et guêtres, chaussures à semelles cloutées, sans distinction entre pied droit et gauche. Il porte sur le dos un havresac, sorte de gros cartable qui contient tout son barda. Il a aussi son long fusil, équipé d’une baïonnette et la giberne pour les munitions. Le tout pèse vingt à trente kilos.

Fusiliers de l’infanterie impériale française vers 1810 – Capture d’écran du 12-09-2021
https://chateaudepugny.fr/2018/06/08/pierre-savin-soldat-de-la-grande-armee-de-napoleon-mort-a-20-ans/

Décembre 1813, la campagne de France débute. Les forces de coalition sont bien supérieures en nombre à l’armée française.
Elles franchissent le Rhin.

Antoine Perrin est hospitalisé à Toul. On l’évacue, avec d’autres camarades d’infortune. Il a la fièvre, et c’est trop tard, il meurt dans la voiture qui le conduit à l’hospice de Vaucouleurs.

Quelle fièvre a tué ce jeune homme ? A-t-il été victime du typhus qui a sévi alors ? Il a fallu quatre-cent pages au chevalier J.R.L. de Kerckhove pour retracer « l’Histoire des maladies observées à la Grande Armée Française pendant les campagnes de Russie en 1812 et d’Allemagne en 1813 ». Jusqu’au XXe siècle, les maladies ont tué plus de soldats que les armes.

Une dernière interrogation subsiste : le jeune homme est décédé entre Toul et Vaucouleurs, le 9 janvier 1814, à quatre-vingts kilomètres de sa famille, et pourtant l’extrait mortuaire du registre de Trémilly est daté du 1er septembre 1817.
Ses proches n’auraient-ils appris son décès qu’à ce moment-là ? Espérons que cet extrait a plutôt servi, comme c’est l’usage, à répondre aux demandes administratives.

* Pierre Perrin et Jeanne Bulard ont eu quatorze enfants.
** Adélaïde Geneviève Joséphine PERRIN est décédée le lendemain de sa naissance.

Source :
– Calendrier grégorien et calendrier républicain avec conversion www.poissons52.fr
Le temps des instituteurs
– Directoire, guerre de Vendée, régime concordataire français www.wikipedia.org
– Napoléon & Empire, De Bonaparte à Napoléon Ier https://www.napoleon-empire.net/
– Retrouver un ancêtre soldat de la Révolution ou de l’Empire, Jérôme Malhache, Guides de généalogie, Archives et Culture
– Le paquetage du fantassin napoléonien, François Houdecek https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/le-paquetage-du-fantassin-napoleonien/
Campagne de France (1814), Wikipédia

Famille PERRIN, une autre épidémie
Les présentationsPar ici
Les parents, Pierre PERRIN et Jeanne BULARDCliquez ici
La fille, Marguerite PERRIN – Ville-Sur-TerreC’est là
L’ainé, Jean « Joseph » PERRIN – TrémillyIci
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