1947 En direct du Tour de France

Le 10 juillet 2021

Mes chers neveux,

Il pleut ce matin. Pas l’averse habituelle, de celles qui font dire qu’il fait beau plusieurs fois par jour en Bretagne, mais plutôt la pluie lente et continue du pays haut-marnais. Pourtant il y a dû avoir du vent dans la nuit. Bousculées et retournées, les feuilles de l’olivier arborent des reflets bicolores, vert olive et vert argenté.

La météo est propice à ce que je prenne la plume pour vous écrire cette lettre à tous deux : à toi l’ado de treize ans francilien breton, et à toi le garçon à l’accent qui chante. Vous êtes bien différents de caractère, vous habitez aux deux extrémités de la France, et nous fêtons vos anniversaires à six mois de distance. Pourtant vous partagez la moitié de vos ancêtres.

Ce matin, ce n’est pas d’ancêtres dont je veux vous parler, quoique… Je vais vous parler de Mamie Cotte, d’un petit morceau de son enfance, qu’elle m’a raconté. Bien sûr au moment où vous recevrez cette lettre, elle l’aura relue, apporté quelques compléments et quelques corrections (orthographiques aussi, institutrice retraitée oblige !).

Vous savez peut-être ce qu’est une lettre ouverte, et si ce n’est pas le cas vos parents vous l’expliqueront. Ce courrier en est une, alors je dois donner quelques détails pour tous les lecteurs.
Mamie Cotte, c’est toi, mon neveu, à l’accent chantant, qui l’a trouvé pour Mamie Jacqueline, Mamie Jacquotte, Mamie Cotte. Et quand j’écris ces mots, j’entends ta voix dans ma tête : Jac que line, les syllabes bien détachées courent les unes derrière les autres avec légèreté.

Toi, mon neveu francilien breton, tu as pu assister à la 2ème étape du Tour de France 2021. Il passait par Pleumeur-Bodou. Ah oui, je te le confirme de nouveau, « l’ancien maire de Lannion, celui qui a créé l’antenne, a un rapport avec Tonton ». C’était son grand-père.

Reprenons.
En matière de Tour de France, Mamie Cotte en connaît un rayon. Chaque année elle regarde la course à la télé. Bon d’accord, c’est davantage pour les paysages que pour le sport et elle regrette souvent que de nos jours les caméras soient plus braquées sur « la petite reine » que sur la découverte de la France. Mais tout de même, elle est assidue.
Mamie Cotte a quelquefois assisté à une étape, pour de vrai, en présentiel, comme on dit depuis les confinements.
La dernière fois, c’était à Aix-Les-Bains, mais « trop de monde, on ne voyait rien ». Il faut dire que le Tour de France est un divertissement populaire et gratuit, alors forcément cela attire beaucoup de spectateurs.
Une fois à Morzine, le tour passait juste au pied du bâtiment dans lequel la famille avait loué pour les vacances.
Et puis quand elle était lycéenne, elle avait fait le déplacement à Nancy avec une amie.
Mais le tout premier souvenir du Tour de France de votre Mamie Cotte est plus ancien.

Dix ans, ton âge, mon neveu à l’accent qui chante ! Mamie Cotte avait dix ans pour le premier Tour de France d’après-guerre, en 1947.

Par Andrei Loas — Travail personnel
CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=92979031

34ème Tour de France, entre le 25 juin et le 20 juillet 1947. Cette année-là le Tour reprenait après sept ans d’arrêt du fait de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois il passait les frontières de la France pour la Belgique (pays d’une partie de nos ancêtres) et le Luxembourg. Pour la première fois aussi il faisait étape à Carcassonne, que vous connaissez tous les deux. La 13ème étape se terminait au vélodrome de la ville.

Etape 13 Montpellier-Carcassonne et étape 14 Carcassonne-Luchon

Entre 1947 et 1961 les équipes de cyclistes portaient les couleurs de régions ou de pays, pas celles de sponsors comme aujourd’hui. Dix équipes, cent coureurs. En 1947, le gagnant fut Jean ROBIC (1921-1980), un ardennais breton francilien, de l’équipe Ouest.

Pour Jean ROBIC, la course avait plutôt mal commencé.
A vingt-six ans, le coureur avait derrière lui trois saisons comme professionnel et en 1947 il participait à son premier Tour.
Seconde étape, il est classé quinzième. Quatrième étape, Luxembourg-Strasbourg, il s’échappe et la remporte facilement. Son concurrent direct est tombé sur les rails du tramway strasbourgeois.
Il remporte ensuite l’étape Lyon-Grenoble, passant seul deux cols des alpes, le Cucheron et le col de Porte. Quelques journées difficiles suivent. Crevaisons, recul dans le classement s’enchaînent. A Nice, arrivée de la dixième étape, il est à 23 minutes du maillot jaune.
Le soir du 11 juillet (Carcassonne-Luchon), il se dispute avec l’un de ses coéquipiers et décide de faire cavalier seul le lendemain. Il attaque dès le départ, franchit seul quatre cols pyrénéens et gagne sa troisième étape à Pau.

Encore quelques étapes et Mamie va s’intéresser de plus près à la course et s’en souvenir jusqu’à aujourd’hui :
Pour la seule et unique fois de sa vie, cet été 47, Mamie Cotte est partie en colonie de vacances en Haute-Savoie.
Son père Célestin Ernest Fernand MILLIARD, pépère Nénesse, habitait alors Bourges (18) et travaillait pour la Société Nationale des Constructions Aéronautiques du Centre (SNCAC). Veuf, de Lucienne Renée BARBARANT (la maman de Mamie Cotte), il s’est remarié le 12 juillet 1947 avec Lucette Odette BIZET. La petite Jacqueline n’a pas participé au mariage, elle en est certaine.
Elle se rappelle de ce mois de juillet.
Son père l’a conduite à la gare pour le départ en colonie à Allinges, à côté de Thonon-Les-Bains (74). Le comité d’entreprise de la SNCAC possédait là un centre de vacances pour les enfants du personnel.

Pour le voyage Jacqueline avait emporté un pique-nique. Sa jeune belle-mère avait préparé des œufs durs et pour qu’ils ne cassent pas dans la valise, elle les avait mis dans les gants de toilette.
Mais vous allez rire : les œufs n’étaient pas très cuits, mollets sans doute et à l’ouverture, les gants de toilette étaient tout tâchés de jaune !

Avec Mamie, nous n’avons pas retrouvé quel jour exactement elle a fait ce voyage. Trop d’années se sont écoulées pour qu’elle en garde le souvenir. Par contre à cette époque, les grandes vacances commençaient le 15 juillet pour finir le 30 septembre.
Mamie Cotte n’a suivi en colo que la fin du Tour, cinq jours tout au plus, entre le 15 et le 20 juillet.

Admettons que Mamie Cotte ait pris le car pour Allinges le 15 juillet. Elle n’a pas pu suivre cette 17e étape avec ses petits camarades. A l’époque, pas de radio dans les véhicules, parce qu’un poste radio cela ressemblait à çà :

Ancien poste radio TSF BF570 A 1947 Philips collection (In Telogos.com le 11/07/2021)

Ou bien à çà :

Sonora-Excellence-301
(In radio-sonora.com le 11/07/2021)

Pas de télé non plus dans les trains, même si certains visionnaires pressentaient déjà nos actuels smartphones. Jetez un coup d’œil en cliquant sur le lien :
La télévision, œil de demain (1947) – JK Raymond Millet (extrait)

Il est donc probable que Mamie ait suivi les dernières étapes du Tour de France grâce à la radio.
Les moniteurs pouvaient la faire écouter aux enfants. Et on peut imaginer qu’en dehors des baignades dans le lac Léman, de la sieste et de l’écriture de cartes postales aux parents, il restait un peu de temps à y consacrer.

Le Tour de France était déjà très populaire et après les années sombres de la guerre, la population française devait avoir besoin de se changer les idées, comme en ce moment avec la crise sanitaire.
Les actualités n’atteignaient pas le public aussi rapidement qu’aujourd’hui hormis avec la radio.

Mamie Cotte a pu écouter les dernières étapes de la course. Celle du 18 juillet par exemple, Vannes-Saint-Brieux. Jean ROBIC est sur ses terres bretonnes. Les coureurs se lancent dans le contre-la-montre le plus long de l’histoire du Tour, 139 km et l’ascension de la côte de Mûr-de-Bretagne pour la première fois. ROBIC arrive deuxième et gagne la 3ème place au classement général.

Est-ce à partir de là que les petits colons se sont mis à crier à travers les Allinges ?
« ROBIC ! Vas-y ROBIC ! »
Ou bien seulement lors de la dernière étape ?
Elle a dû faire le buzz celle-ci. Un sacré scoop pour la radio, parce que cette arrivée a été réalisée en duplex et c’était encore une première fois.

Georges BRIQUET (1898-1968), surnommé le « roi des radios reporters, animait alors « Sports et musique ».
L’émission, au générique* plein d’entrain, était diffusée le dimanche après-midi sur Paris Inter (qui deviendra France Inter).
Le dimanche 20 juillet 1947, l’animateur s’est installé dans une jeep pour commenter la course dans Paris, en direct et en duplex, jusqu’au Parc des Princes.

Ecoutons un extrait du reportage d’alors.
Extrait du radio reportage de Georges Briquet
diffusé en direct de l’arrivée du Tour de France 1947 INA

Vous entendez les enfants de la colonie se mêler aux cris de la foule du parc des Princes ? Vous imaginez Mamie Cotte, à dix ans, crier « Vas y ROBIC » ?
Il devait y avoir une sacrée ambiance en colo !

Voilà vous en savez un peu plus sur l’enfance de Mamie Cotte.
Quelques heures se sont écoulées. Le soleil est de retour et finalement le proverbe ne mentira pas encore aujourd’hui : en Bretagne il fait beau plusieurs fois par jour.
J’espère que vous avez aussi le soleil pour accompagner vos vacances.
Profitez-en bien. Avec Tonton, nous vous faisons plein de bisous.

Tatie de Bretagne

PS : Mamie Cotte a fait des propositions de modifications très utiles, je les ai acceptées de suite. Elle n’a pas trouvé de faute d’orthographe : Yes ! Je m’améliore, c’est très réconfortant pour vous les jeunes qui avez peut-être du mal avec les dictées ?
Mamie a retrouvé un album photo de Pépère Nénesse. Par recoupement de dates, elle pense qu’elle était en colo au mois d’août, pas du tout au mois de juillet. Les petits colons devaient donc célébrer la victoire de Jean ROBIC, pas l’encourager. Mais finalement, comme dit Mamie Cotte, ça n’a pas grande importance. 😉

CPSM FRANCE 74  » Les Allinges Colonie de Vacances du Comité d’Etablissement Nord Aviation Bourges » In CollectionJFM.fr le 11/07/2021

* André Dassary – La marche des sports

Sources :
– Tour de France 1947, Wikipédia
– Société nationale des constructions aéronautiques du Centre, Wikipédia
– Le dico du tour ledicodutour.com
– Petite histoire des vacances scolaires

magenealogie.eklablog.com/petite-histoire-des-vacances-scolaires-a169503806

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