Rendez-vous historique

Il faudrait que j’achève ma série d’articles sur les PERRIN.
Une partie de la famille est décédée du choléra en 1832 et je me suis promis d’écrire un article sur Pierre « Nicolas » PERRIN, le cadet.

Ce garçon s’est installé à Cirey-sur-Blaise comme charpentier et y a fondé une famille.
Avec cet article, je voudrais terminer ma minisérie en 1854, année de la seconde grande vague de choléra en France.

Mais en ce mois de février 2022, le cœur n’y est pas. Nous subissons encore l’épidémie de COVID19 et même si on nous annonce une levée progressive des restrictions, je trouve le temps long.
Est-ce-que nos anciens se sont posés les mêmes questions ?

Je poursuis mes recherches sur Pierre « Nicolas » PERRIN et je trouve quelques sujets de divertissement. Il y a quelques jours, j’ai appris, qu’au cœur de mon arbre, c’est à Cirey-sur-Blaise seulement que les prénoms de Valentin et Valentine avaient été donnés. Le hasard fait bien les choses pour me ramener là-bas.

Allez, j’en ai assez de ces recherches et de cette visionneuse qui plante toutes les trois vues. Impossible de parcourir un recensement en entier.
Une pause s’impose. Je rabats l’écran du portable.
Je sors ma quantiquette de son joli sac de toile.
Après tout, nous sommes le troisième samedi du mois, aucune raison de se priver d’un rendez-vous ancestral. Allons chercher les renseignements à la source.

Je règle le GPSQ* en un tour de main. C’est parti mon kiki !

Bouh ! Atterrissage brutal aujourd’hui ! Heureusement une haie de charmilles a arrêté ma course. Je suis tout de même bien égratignée. Je me relève et aperçois quelqu’un qui vient à ma rencontre.

Une femme.
Ses vêtements n’ont rien de ceux du 19ème siècle.
Sous le tissu luxueux de sa robe, je devine qu’elle porte un panier ovale.
Son corsage est ajusté, sa taille très fine, elle est bien corsetée.
Les manches s’arrêtent au coude, mais trois volants de dentelle fine les prolongent.
Le décolleté est large, laissant deviner une jolie poitrine, rehaussée par les perles qui ornent le centre de la robe.
Un ruban au cou et une couronne de fleurs dans la chevelure, bien tirée, terminent la toilette.

Je retire les feuilles accrochées à mes propres vêtements.
La dame doit venir de ce château. Elle descend l’allée de tilleuls du jardin.

Pas d’erreur de réglage géographique du GPSQ. Je suis bien à Cirey-sur-Blaise, en Haute-Marne.
Par contre j’ai dû y aller un peu fort sur le paramètre du temps.

A peine quelques secondes pour me rétablir tout à fait, Madame du Châtelet, propriétaire des lieux et maîtresse de Voltaire est devant moi.

Portrait gravé par Geoffroy d’après un tableau de La Tour
Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
Direction des bibliothèques et de la documentation

« Quelle étonnante tenue, Madame ! Est-ce avec ce drôle d’engin que vous êtes venue me rendre visite ? »

J’ai lu quelque part, qu’Émilie du Châtelet était une femme de sciences, qu’elle s’était intéressée aux sciences physiques, alors je me lance, tout en esquissant une révérence :

« Je viens, Madame, du XXIème siècle. Je suis à la recherche de mes ancêtres, qui ont vécu à Cirey-sur-Blaise. Il est même probable qu’ils aient servi vos descendants. »

Je poursuis sans lui laisser le temps de m’interrompre :
« Cet engin, Madame, est une quantiquette, un véhicule léger, qui permet de voyager dans le temps. Elle a été conçue sur les principes de la physique quantique, découverts au XXème siècle. Des théories bien différentes de la physique classique parmi lesquelles figure la mécanique newtonienne. »

Traduction française des principes mathématiques de la philosophie naturelle
Par feue Madame La Marquise du Chastellet
Gallica Capture d’écran du 18/02/2022

Ouf ! Pas besoin d’en dire plus !
A la simple évocation de Newton, mon hôtesse prend la parole :
« Oh ! Vous savez que j’ai entrepris de traduire en français les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica de Newton.
— Vous savez le latin, Madame ?
— Bien sûr, que je sais le latin et certainement mieux que Newton ! Le moins que je puisse dire, c’est qu’il n’est pas facile à comprendre.
Mon père, Louis Nicolas Le Tonnelier de Breteuil, m’a donné la même éducation que mes frères. J’ai appris, auprès de nos précepteurs, le latin, les langues étrangères, mais aussi les mathématiques et bien d’autres disciplines.
J’ai encore complété mes connaissances avec Moreau de Maupertuis et Alexis Claude Clairaut.
Pensez-vous, j’ai dû m’habiller en homme pour participer aux discussions mathématiques de mes amis ! C’est pourtant bien plus intéressant que les conversations de certains salons… »

Je sens bien à son ton, qu’elle souffre de ce manque de reconnaissance.
Je relance la conversation sur un de ses sujets de fierté :
« N’avez-vous pas été distinguée par l’Académie des Sciences ?

Son visage s’éclaire de nouveau :
« Les mémoires que j’ai écrits avec Voltaire, sur la nature et la propagation du feu, ont effectivement été publiés. Mais vous connaissez cela ?
— Dans mon siècle, Madame, vous êtes reconnue comme une grande scientifique. La première femme de sciences française. Vos travaux font toujours autorité. »

Un large sourire lui vient encore. Je reprends :
« Vous me permettrez, Madame, de prendre congé, je me dois de poursuivre la recherche de mes ancêtres.
—Je vous en prie, Madame, j’ai été ravie de discuter avec vous et d’apprendre ainsi que mes efforts n’ont pas été vains. J’espère qu’au XXIème siècle, les femmes sont mieux reconnues que dans celui-ci. »

J’esquisse une dernière révérence, enfourche ma quantiquette, et m’élance.
Avec élégance et chaleur, Émilie du Châtelet me fait un signe de la main.

Quel honneur pour moi aujourd’hui !
Rencontrer une femme dont Voltaire dira :

J’ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n’avait de défaut que d’être femme…

Voltaire

*GPS Quantique

Sources :
Madame du Châtelet, la femme des Lumières, Fiche pédagogique, Bibliothèque nationale de France, 200
6.

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