C’est fait, je reprends mes études. Depuis dix jours je planche sur mon projet de monographie familiale. A la fin de l’année universitaire je remettrai mon travail et franchement, d’ici là, j’ai du pain sur la planche. Il faut ce qu’il faut pour devenir titulaire du DU GENEFA de l’université du Mans.
Le diplôme universitaire histoire et généalogie familiale ! J’ai été acceptée en juin dernier et aujourd’hui je suis dedans jusqu’au cou avec une vingtaine de petits camarades. Premier travail à rendre à la mi-octobre, pas de temps à perdre !
Les idées se bousculent dans ma tête, j’ai du mal à trouver ma méthode. J’ai l’impression de ne pas beaucoup avancer. J’ai le lieu, la famille que je vais étudier, mais il y a tant à faire, à découvrir et à apprendre.
Il faut peut-être laisser un peu décanter, reposer comme une bonne pâte à crêpes ? Bonne idée, je m’octroie quelques heures pour me changer d’air.
Prépares-toi au départ ma quantiquette, cet après-midi, c’est sortie !
Sortie et même quartier libre ! Je ferme les yeux pour régler le GPSQ. Un tour à gauche, un tour à droite, on verra bien où je débarque.
Aie aie aie ! En guise d’atterrissage, j’ai bien failli amerrir !
Attention, ma quantiquette, tu n’es pas une planche de surf !
Vite, vite j’ai juste le temps de dissimuler mon engin derrière le quai, un canot à voile brune s’approche.
Deux hommes sont à bord, ils devisent joyeusement, casquette de marin vissée sur la tête, même par ce beau temps.
Derrière eux j’aperçois un bac, à son bord une voiture à cheval, une dame chapeautée et quelques travailleurs. Un peu plus loin une chapelle : Sainte-Marine. Je suis à Combrit, dans le Finistère, au port de Sainte-Marine, mais quand ?
Je dirais bien début XXème siècle, à la longueur de la robe de cette dame et aux vêtements des pêcheurs. J’avance sur le quai, monte les quelques marches.
Je retrouve ce que je connais, sans port de plaisance et moins d’arbres autour de la chapelle.
Les crêperies ne sont pas encore installées, l’Abri du Marin n’est pas un musée, mais il est là. Cela confirme mon évaluation, le bâtiment rose a été édifié en 1904.
Je m’avance sous le préau, quand un homme d’une cinquantaine d’années sort de la salle.
« Bonjour, Jacques de Thézac, vous venez pour l’embauche ? »
J’ai bien de la chance aujourd’hui, c’est le fondateur de l’Oeuvre des Abris du Marin et de l’Almanach du Marin Breton qui m’accueille.
« Ah non, désolée, Monsieur, je venais visiter et me renseigner sur ce qui vous a amené à construire ces abris. »
Il n’en fallait pas davantage à mon hôte pour se lancer sur son sujet de prédilection :
« Voyez-vous, Madame, je suis un passionné de navigation, de la mer et de ses hommes.
Quand ma femme, Anne de Lonlay, et moi-même, nous sommes installés à Sainte-Marine, en 1888, j’ai commencé à observer les marins. Leur vie est rude. Pas facile de pêcher par tous les temps, quand les doigts deviennent gourds et que le vent cingle le visage. Et il y a vingt-cinq ans, les hommes trouvaient réconfort à terre comme ils pouvaient, bien souvent dans l’alcool.
Un jour, j’en ai eu assez et avec mon matelot, Pierre Quéméré, j’ai décidé qu’il fallait faire quelque chose. Les Anglais avaient leurs sailor’s homes, alors j’ai repris l’idée et créé les Abris du Marin. »
Jacques de Thézac ouvre la porte et me fait entrer dans la salle.
Des hommes de tous âges sont rassemblés en deux grandes tablées. Chacun a une bolée devant lui. Pas de cidre m’explique mon hôte, l’alcool n’a pas sa place ici. On sert de la tisane d’eucalyptus, c’est bien meilleur à la santé, pour lutter contre les ravages de la tuberculose.
Il m’explique qu’ici on donne des conférences, on fait des projections. On donne des cours aussi aux matelots et aux futurs patrons. Et puis l’Abri est aussi dispensaire, comprend bibliothèque et matériel de réparation. Bref tout ce dont le marin a besoin.
Tout autour de la salle, les murs sont couverts de tableaux, de cartes marines. Au fond, derrière l’assemblée de mousses et de marins au visage buriné, la devise trône en bonne place, rappelant que son fondateur fait partie du catholicisme social : DIEU – HONNEUR – PATRIE.
Sur une table, l’exemplaire de l’année de l’Almanach du Marin Breton, 1912.
Les hommes se lèvent d’un bond, se précipitent dehors. Je suis entraînée par leur mouvement et me retrouve sur le quai.
Quelqu’un crie : « Un tout petiot a fait la culbute ! On ne le voit plus ! »
Au même moment un gamin d’une douzaine d’années, se jette à l’eau tout habillé, plonge. La foule se tait d’un seul coup, puis hurle sa joie. Le plus grand ramène le petit à la surface, nage vigoureusement et reprend pied.
A mes côtés un marin s’exclame : « C’est le petiot Campion, qui était grimpé sur un bateau ! »
– Mais il n’a pas trois ans celui-là, dit son voisin. »
Jacques de Thézac m’explique que le très jeune garçon vient d’être secouru par son frère Jean.
« Il y a bien 2m 50 d’eau à cet endroit. Heureusement que nos mousses nagent bien aujourd’hui ! »
Monsieur de Thézac me quitte aussitôt. Le dispensaire va une nouvelle fois être utile.
Un sauvetage qui se termine bien cette fois. Il ne me reste plus qu’à rentrer. Pour sûr cette rencontre me sera utile pour le travail que je dois rendre en fin d’année.
Sources :
– www.marinbreton.com, Site de l’œuvre du Marin Breton.
– FORRER, Anne, L’Œuvre des Abris du Marin face à la tuberculose, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest 2020/2 (n° 127-2), pages 59 à 83, consulté le 17/09/2022.
– Le sauvetage du petit-frère, Le Progrès du Finistère, Juin 1912, page 2, FRAD029_4MI_022_1912_06_01_001_1912_06_29_004.pdf.
Découverte furtive de la rude vie des marins pêcheurs
Toujours ce style très enlevé qui me plaît tant. Bravo pour le reprise des études.
Merci Dominique
Dieu merci, l’enfant est sain et sauf ! bravo et bon courage pour les études !
Merci Christiane😉