Rendez-vous à la Clarté

Mais qu’est-ce-que j’en ai fait ? Ça m’agace !
Impossible de remettre la main sur mon chapeau rond.
Je ne vais tout de même pas emprunter une coiffe bigoudène ? Je ne sais pas la positionner, et puis, surtout, je n’ai pas le temps.

Ah le voilà, ce chapeau !
Je l’avais tellement bien rangé que j’ai eu un mal fou à remettre la main dessus.
Il est magnifique avec ses rubans de velours noir. Il ne me manquait plus que lui pour parfaire ma tenue.
Maintenant la quantiquette. Aujourd’hui je pars pour 1890, à Combrit.
Je suis pressée de rejoindre le pardon de la Clarté. J’espère bien y rencontrer quelques descendants de Pierre Jézéquélou (1753-1807) et avancer ainsi sa généalogie.

Le pardon de la Clarté est, aujourd’hui encore, un des principaux événements combritois. Alors fin du XIXe siècle, cela devait être impressionnant.

Où en étais-je ? La quantiquette !
Je suis tellement fébrile, je tourne, je vire et je n’avance pas !

Il faut tout de même que je donne quelques explications à tous ceux qui rejoignent mon blog.
J’ai la chance d’avoir récupéré un engin formidable, une trottinette quantique, dotée, s’il vous plaît, d’un GPSQ(1) dernier cri.
Ne me demandez pas comment je me suis procuré ce véhicule, parfaitement durable et sans aucun rejet polluant, c’est un secret bien gardé.
Même en me torturant, vous n’en saurez rien.

Ouf, enfin prête ! Réglage minimum, démarreur sur « on ». En arrière toute !

Parfait je suis au bon endroit, Kergadec ; l’anse du Pouldon pour horizon. C’est tellement beau cet endroit !

Cadastre parcellaire, tableau d’assemblage, sections A-D, Combrit.
Archives départementales du Finistère, 3P 40/3/5, 1833. Capture d’écran du 15/10/2022

Je dissimule mon véhicule derrière quelques arbres et prends le chemin.
Direction l’est !
J’ai quelques difficultés à me repérer. Les voies et chemins ne sont plus ce qu’ils étaient. La petite route « deux grammes », comme l’appellent les jeunes du XXIe siècle, n’est pas complètement tracée. Je ne sais comment, mais j’arrive à Kerboul. Je laisse un chemin sur ma droite, quand un groupe arrive à ma hauteur. Femmes, hommes et enfants sortent de Tromarzin. C’est sûr, ils vont au pardon. Je rattrape un homme âgé et engage la conversation.

« Demat(2), belle journée, n’est-ce pas ? »

« Belle journée, et c’est tant mieux pour le pardon ! »

Mon interlocuteur semble surpris. Je m’aperçois que mon costume et mon parler sont en désaccord. J’avais bien prévu quelques mots de breton, mais je suis plus que limitée en vocabulaire. Il a déjà fallu que je pianote sur mon clavier pour trouver comment dire « bonjour ». Alors hormis « kenavo », qui me revient sans souci, cela risque d’être compliqué.

Changement de tactique, mieux vaut être parfaitement honnête, même si je ne peux pas dire que je suis une femme avec ce choix de costume.
Je me présente rapidement, arguant du fait que le pardon de Combrit est bien connu, que je suis venue de loin pour y assister :
« Je suis champenois d’origine et depuis que je suis arrivé à Quimper, on ne cesse de me dire d’aller à Combrit le deuxième dimanche de septembre. »
– En effet le pardon de Notre-Dame de la Clarté est très couru et fait partie des « Pardon an Teir Vari » avec ceux d’Ergué-Gabéric et de la Forêt-Fouesnant.
– Venez avec nous, je vous expliquerai. »

La réserve de mon interlocuteur a disparu. Il se présente plus avant, ainsi que ses compagnons :
«  Je suis François Castric, j’habite cette ferme avec ma famille. Devant mes fils, Pierre, Nicolas et sa jeune épouse Corentine. Ils se sont mariés l’an passé, j’espère qu’elle nous fera bientôt un petit.
Ensuite, ma Jeanne, elle est plus jeune, mais m’a déjà donné un petit-fils. René, comme son père, un gars Le Letty. Et puis la jeunette à côté, c’est Jeanne Tanneau, elle rend bien service aussi. »

Je comprends que tous ces bras travaillent la terre, six membres de la famille et une domestique. Peut-être est-elle parente, placée par les siens, en attendant qu’elle soit en âge de se marier. Elle a une quinzaine d’années, pas davantage.

François poursuit :
« – Voilà deux ans que je suis veuf, pour la seconde fois. Pourtant Marie Jeanne avait une dizaine d’années de moins que moi. Elle m’a donné de beaux enfants.
– Ah, justement, voici François, un autre de mes fils. Lui aussi a épousé une fille Jézéquélou. Une ainée de Corentine. Ma Jeanne était déjà bien malade et il a fallu les marier à Tromarzin. Impossible pour ma femme d’aller à la mairie.
– Ils vivent au Reluet, chez ses beaux-parents, Pierre Jézéquélou et Marie Daoulas. La petite Marie, que vous voyez, c’est leur fille. »

Tout en discutant nous sommes arrivés à proximité de la chapelle de la Clarté. Il y a foule ici. Avant de prendre rang dans la procession, François me montre la fontaine.

« Il paraît que l’eau fait des miracles, ici. Moi, je n’y crois pas à cette histoire, mais vous voyez comme les gens se précipitent pour la boire et s’en arroser ! Ils vont bien l’assécher un jour ! »

François aperçoit une connaissance. Il me prie de l’excuser et s’éloigne.
Dommage, j’avais encore tant à lui demander. J’aurais bien voulu qu’il me présente d’autres descendants de Pierre Jézéquélou : Jeanne Louise Yvonne Cécilia Le Floc’h par exemple, ou bien Marie Perrine Jézéquélou. Si mon GPS m’a bien amenée en 1890, la première a soixante-dix ans, la seconde, quarante. Jeanne vit d’ailleurs tout près de la chapelle de la Clarté, à Saint-Vennec. Ce sera pour une autre fois, je reviendrai.

Je prends le chemin en sens inverse, quand une rumeur enfle au sein de la foule. Hier un aveugle est venu baigner ses yeux à l’eau de la fontaine. En rentrant chez lui à Elliant, il aurait recouvré la vue.

Tiens, tiens. Je laisse les pèlerins à leur excitation, me hâte de récupérer mon engin pour rentrer au XXIe siècle. J’ai quelque chose à vérifier.

Effectivement mon GPSQ a une marge d’erreur, une année, cette fois. C’est en 1891 et non en 1890 que Guillaume Grall a recouvré momentanément la vue grâce à l’eau de la fontaine de la Clarté. Mais ça c’est une autre histoire.

(1) GPS quantique.
(2) Bonjour en breton.

Sources :
Cadastre parcellaire, tableau d’assemblage, sections A-D, Combrit, Archives départementales du Finistère, 3P 40/3/5, 1833.
www.combrit-saintemarine.bzh, site officiel de Combrit-Sainte Marine, 2022, consulté le 15/10/2022.
Acte de mariage, 12 novembre 1890, Combrit, Archives départementales du Finistère, 3 E 51/35/8 – 1890, vue 11.
“Combrit,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 15 octobre 2022, https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/322.
LECORNU, Steven, « Il y a 120 ans, une guérison miraculeuse à Combrit », Le Télégramme, 12/09/2020, https://www.letelegramme.fr/finistere/pont-labbe/il-y-a-120-ans-une-guerison-miraculeuse-a-combrit-12-09-2020-12615667.php.

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