Mais pourquoi ai-je choisi de chercher les ancêtres de Pierre Jézéquélou (1753-1807) ? Mon projet est parti de l’ouest de Combrit. Tromarzin, Ty Conan, Kergadec, j’ai épluché les recensements pour savoir qui avait vécu en ces lieux-dits. J’ai cherché ma famille idéale. Et puis la presse ancienne finistérienne m’a apporté des drames, des naufrages.
Corentine et Perrine choisies, restait à découvrir une famille qui avait vécu dans une ferme sur plusieurs générations pour retracer une histoire immobilière. C’est Jeanne qui m’a fait ce cadeau.
Trois femmes, trois destins, mais pour le diplôme universitaire, ça ne suffit pas. La monographie nécessite un ancêtre commun à ces trois bigoudènes. Alors Pierre est entré dans le projet.
Pierre Jézéquélou est le premier ancêtre commun à Jeanne, Perrine et Corentine. Il a vécu la Révolution Française, il payait des impôts à Combrit et à ce titre a pris part à la rédaction du cahier de doléances de la paroisse. Intéressant tout de même !
Pourtant, je regrette de ne pas avoir mis une autre femme au cœur de mes recherches, une fière Bigoudène, même si l’expression n’existait pas encore.
Focalisée sur la vie de Pierre et de ces ascendants, je n’avais même pas remarqué sa discrète épouse. Un pléonasme en généalogie, où il n’est question que des hommes, de leurs exploits militaires, de leurs métiers, des actes de la vie civile qu’ils signent. Et pourtant, en Pays Bigouden, la part des femmes semble moins congrue qu’ailleurs.
Alors flûte ! J’ai envie de la rencontrer cette autre Jeanne, l’épouse de Pierre, celle qui a donné son prénom à trois de ses filles, celle qui le tenait de sa mère.
Jeanne Garin est née en 1756 à Combrit. En juin 1772, à seize ans, elle épouse Pierre, son aîné de trois ans. Le couple s’installe au Froutguen, avec les parents de Pierre. Lui y passera sa vie, mais Jeanne s’installera à Saint-Vennec pour ses vieux jours. C’est là que je voudrais la rencontrer, juste à côté de la chapelle de la Clarté.
Tout en réfléchissant, j’ai sorti la quantiquette de son sac. Réglage du GPSQ, tip-top sur 1820. Très impatiente, je tourne fébrilement la poignée d’accélération. Patatra ! Ça m’apprendra ! Mais où ai-je atterri ? Je suis assise dans l’eau, toute dégoulinante. Les yeux me piquent, mes lèvres sont salées. Aucun doute, je suis tombée pile dans un bras de mer. Je m’étais étonnée en consultant la carte d’état-major sur Geoportail de voir qu’au début du XIXe siècle, terres et mer étaient encore si entremêlées à Combrit. Un bon point, je dois être près de Saint-Vennec.
Je me relève, rien de cassé. Ma quantiquette gît un peu plus loin. Rapide check-up de mon engin, plus de peur que de mal. Je remonte vers le nord, je devrais rapidement atteindre ma destination.
Quelques pas pour regagner un chemin, j’aperçois déjà la chapelle de la Clarté.
Mon bain forcé a alourdi mes vêtements et je commence à avoir froid. Dès que je suis à portée de voix, une femme âgée m’interpelle :
-« Que vous est-il arrivé ? Vous allez attraper mal ? Venez donc vous sécher auprès du feu. »
Mon hôtesse ouvre la porte de son logis. Quelle chance ! Sans cette mésaventure, jamais je n’aurai pensé entrer si facilement chez Jeanne Garin.
Car c’est bien elle qui me reçoit à Saint-Vennec. Je reconnais la belle façade de la maison manale, les différents bâtiments et je découvre celui qui a aujourd’hui disparu.
Je franchis le seuil à la suite de Jeanne. C’est sans doute la pièce principale. Dans la cheminée, je remarque d’emblée la crémaillère et deux crêpiers. Une table, un banc avec des accoudoirs, un autre banc près du lit. Une armoire qui ferme à clé.
Jeanne me donne de quoi me sécher puis ouvre l’armoire :
– « Vous allez passer une de mes chemises le temps de faire sécher vos hardes. »
L’armoire est bien garnie : des draps ouvragés, plusieurs piles de chemises, des coiffes à foison, des jupons et tabliers. Côté linge de maison, il y a encore des serviettes, des nappes, des draps brodés.
Le lit, à côté de la cheminée, a l’air confortable avec ses deux couettes, draps et traversin. En fait, cela ressemble assez à l’équipement d’aujourd’hui, si ce n’est l’escabeau pour se hisser sur la couche.
Un second lit près de la table, avec le même type « d’accoutrement ». Un coffre, une petite armoire, un fauteuil en bois terminent l’aménagement.
Jeanne engage plus avant la conversation, me demande ce qui m’amène à Combrit. Si elle me prend pour une originale, elle n’en laisse rien paraître. Au contraire, elle m’entraîne dans ce qu’elle appelle la chambre. Il y a bien encore un lit dans cette pièce, mais surtout le matériel nécessaire à une ferme. Cela va des outils de menuisier au chanvre broyé, aux écheveaux de fil, en passant par les marmites et chaudrons. Il y a aussi tout le nécessaire pour faire du beurre, pas moins de trois barattes de différentes tailles, des pots garnis de sel avec leur cuillère. A côté, deux récipients sont remplis, pour l’un de beurre bien jaune, pour l’autre de saint-doux, me semble-t-il.
Jeanne m’explique qu’elle a trois vaches et un cochon :
– « Le mulon de foin est bien utile ces temps-ci. Et puis vous voyez mes réserves, quatre boisseaux de seigle, autant de blé noir, le double d’avoine, un boisseau de chanvre. Et là les pommes de terre, trente boisseaux. »
Contrairement à ce que j’ai pensé au début de mes recherches, la famille doit être plutôt aisée.
Je complimente Jeanne sur la tenue de sa maison.
Mes vêtements ont vite séché, heureusement, car il est temps de prendre congé.
« A bientôt, Jeanne.
– Kenavo », répond mon hôtesse.
C’est sûr, je reviendrai avec plaisir, ne serait-ce que pour goûter le beurre salé.
Source : Inventaire après décès de Jeanne Garin AD29_4E_206_41.
Se méfier de la quantiquette quoiqu’à cause d’elle, nous découvrons une belle personne, Jeanne