À l’heure du recul de l’âge de la retraite et des manifestations de ces derniers mois, l’envie d’observer d’autres mouvements sociaux m’a prise.
Rappelez-vous, il y a quelques semaines, le dimanche 23 juin 1675, je découvrais, interloquée, le début de la révolte des Bonnets rouges à Combrit.
Aujourd’hui, j’ai enfourché ma quantiquette pour une destination moins éloignée. Direction 1789, toujours à Combrit. J’ai pris soin de m’habiller en homme, de maquiller mon visage, pour avoir le teint buriné. C’est qu’il faut pouvoir assister à une réunion de paysans majeurs. Me voici de retour à l’église Saint-Tugdual. Elle a retrouvé sa flèche depuis une vingtaine d’années, alors la cloche peut rappeler aux hommes qu’ils ont un devoir à accomplir.
Il n’est pas encore huit heures. Ce matin, je rejoins les premiers participants. Ils se dirigent vers la sacristie. Sur la porte de l’église, l’affiche apposée par le recteur Duilhuit est en place. Tous les contribuables de plus de vingt-cinq ans se doivent de prendre part à l’assemblée paroissiale du 7 avril 1789 pour rédiger le « cahier de remontrances, plaintes et doléances » de Combrit.
J’entre dans la salle. Au prêtre qui m’accueille, j’explique que, champenois voyageant en Bretagne, j’aimerais connaître les usements de la province et entendre ce que les Bretons souhaitent pour le royaume. Il me présente à Maître Perrot, notaire de l’ancienne Baronnie du Pont et lui expose ma requête. Celui-ci réfléchit, consulte un des paysans qui vient d’entrer dans la sacristie. C’est entendu, je peux rester à condition d’être discret.
Le notaire demande le silence à l’assemblée maintenant nombreuse.
Il recense les présents, nom, prénom et domicile. Au bout du compte, quarante-trois paysans sont là. Parmi eux, je reconnais plusieurs chefs de familles des Jézéquélou-Garin et des parents plus ou moins éloignés.
Avant mon voyage, j’ai bien fait de rechercher qui vivait à Combrit en 1789. Je peux me réjouir d’identifier rapidement :
- Jean Garin (1753-1805), le frère aîné de Jeanne, que j’ai eu le plaisir de rencontrer chez elle. Il vit à Roscanvel avec sa grande famille. Au total, il a eu dix-sept enfants avec sa femme.
- Michel Kerviel (1744-1807) de Kerlorgant, est un beau-frère de Pierre Jézéquélou (1753-1807).
- Noël Jezequelou (1734-1797) est le mari d’une cousine de Jeanne Garin (1756-1822). Tout comme lui, son fils, autre Noël, habite au Haffond.
- Armel Jezequelou (1738-1795) vit à Sainte Marine, au Grand Bourg, tout près de Kergrand où il est né.
- Pierre Jezequelou est le dernier des participants inscrits sur le procès-verbal.
Les trois Jezequelou sont cousins éloignés. Tous trois ont pour ancêtre commun Arphel Jezequelou et portent le prénom d’un des fils de ce dernier, leur grand-père ou arrière-grand père.
Quant à leur nom, je vois que Maître Perrot écrit Diquellou sur le procès-verbal de l’assemblée générale.
L’homme que Maître Perrot a consulté tout à l’heure est Pierre Le Pochat. Ancien procureur terrien, il a l’air très apprécié et ses pairs l’élisent à l’unanimité pour présider la réunion. Il a cinquante-cinq ans, réside à Tromarzin. Son fils, Pierre, ne fait pas encore partie des proches des Jézéquélou. Ce sera le cas lorsqu’il aura épousé Marie Garin, la fille de Jean.
Le notaire explique qu’il a été dépêché pour rédiger les actes et rappelle la procédure que le roi a engagée.
Évidemment, il ne le dit pas ainsi, mais avec le recul et mes souvenirs de cours d’histoire, je comprends qu’à Combrit comme dans tout le royaume, le mécontentement s’amplifie, les impôts sont lourds et les paysans n’admettent plus que certains en soient exemptés.
L’été précédent, acculé par la crise économique et l’impossible réforme politique et sociale, Louis XVI s’est résolu à réunir les États Généraux. L’organisation en a été longue, et le règlement royal de la procédure, n’est paru que le 16 mars 1789, pour une réunion, dans les sénéchaussées, prévue le 1er avril. Face à des délais impossibles à tenir, le sénéchal de Cornouaille a reporté l’assemblée de Quimper et Concarneau de quinze jours. Il laisse ainsi, aux paroisses, le temps d’apporter leur contribution.
Les échanges ont bien avancé. Maître Perrot prend quelques minutes pour finaliser la rédaction du cahier et du procès-verbal. En bon professionnel, clair et efficace, il rappelle déjà les paysans qui discutent de choses et d’autres.
Il annonce qu’il va lire les documents à haute voix, en français et en breton, pour que chacun comprenne bien.
Bon ! À l’inverse de la majeure partie de l’auditoire, je vous avoue que je ne parviens pas à suivre la version bretonne. Par contre, je me concentre, quand il passe au français. C’est que la langue de la fin du XVIIIe siècle ne m’est pas si familière et pourtant, le sujet m’intéresse bougrement !
Je parviens à comprendre, sans trop de peine, qu’au sein des dix articles que compte le cahier de doléances, les Combritois expriment leur besoin d’une nouvelle société, plus juste.
Les membres du tiers-état, qui sont devant moi, paysans aisés, réclament la fin des privilèges de la noblesse et du clergé. Comme partout dans le royaume, ils veulent l’égalité devant l’impôt, que « les nobles et gens d’Église » supportent, avec les roturiers, la charge des troupes et participent aux corvées d’entretien des chemins. Ils souhaitent la suppression des banalités et des différents péages.
Et puis, particularité bretonne, à Combrit, on réclame la fin du congément.
Maître Perrot lit le dernier article :
« Que les seigneurs fonciers à l’usement de Cornouaille ne pourront ni congédier eux-mêmes, ni donner des baillées pour congédier leurs domaniers, qui auront la jouissance des bois fonciers, comme étant ordinairement leurs élèves. »[1]
Intéressant ! Ils ne remettent pas en cause l’ensemble du domaine congéable, qui distingue propriété foncière et édifices et superficies.
Ils veulent seulement l’abolition des dispositions exorbitantes qui favorisent le propriétaire foncier et lui laisse le loisir d’expulser ou de faire expulser toute une famille, en huit jours.
Est-ce que c’est arrivé ici qu’un domanier perde maison et terre au profit d’un voisin, qui a accepté un bail plus avantageux pour les Kersalaun ?
Il faudra que j’enquête là-dessus.
Second point d’importance, alors que les domaniers ont la jouissance des seuls arbres fruitiers, ils revendiquent de posséder les bois fonciers, comme le chêne. Il est vrai que, ces arbres, ils les entretiennent, ce sont leurs élèves, comme ils disent, et ils voudraient en disposer comme matériaux de construction.
Pendant que je réfléchissais, Maître Perrot a terminé sa lecture.
Les paysans d’accord sur la rédaction, le notaire passe aux signatures.
Je suis surprise : sur quarante-trois laboureurs, pourtant aisés, quatre, seulement, savent signer et parmi les Jezequelou-Garin, seul Jean Garin paraphe cahier et procès-verbal, d’une main hésitante. Il ne doit pas en avoir souvent l’occasion.
La réunion s’achève. Les hommes sont, pour la plupart, déjà sortis de la sacristie, quand je vais saluer Maître Perrot et Pierre Le Pochat :
« Kenavo ! À bientôt peut-être ? »
Qui sait où me conduira ma quantiquette dans les prochaines semaines ?
[1] Cf. AD29 10 B 22/10, 7 avril 1789, cahier de doléances et AD29 NN 5/32, 1789, transcription du cahier de doléances de Combrit.
Un bel article très interressant … et qui sait si ta quantiquette ne te conduira pas dans une école la prochaine fois, pour répertorier les laboureurs sachant signer 😉
Merci Véronique, j’essaierai de rester impartiale quant à la guerre des écoles publiques/privées, qui a fait rage en Bretagne 😉, mais il me faudra faire attention à ce qu’il y ait un garage à… quantiquette 😂