Juillet 2023, je suis titulaire du Diplôme Universitaire GÉNÉFA. Maintenant, je dispose d’un peu de temps pour vous raconter une aventure. Pour obtenir le diplôme, les étudiants généalogistes doivent franchir des étapes, découvrir des domaines : cartographie, paléographie, mais aussi héraldique, la science des armoiries et du blason. Les cours dispensés m’ont appris qu’héraldique vient de « héraut ». Au Moyen Âge, ce personnage était le messager d’un seigneur. Il portait les déclarations de guerre et annonçait les armoiries des chevaliers lors des tournois. Quant au blason, après avoir été l’écu porteur des couleurs des concurrents, il a désigné la description technique de leurs armoiries.
Un jour d’hiver, forte de ces éléments, je me suis rendue aux archives départementales du Finistère, à Quimper. J’étais prête à chercher une foultitude de renseignements sur les armes de toutes les familles proches des Jézéquélou.
Bien que « l’emploi des armoiries n’a jamais été l’apanage d’une classe sociale » *, l’espoir de trouver un blason Jézéquélou était mince. Si de ce côté, je n’ai eu aucune surprise, la rencontre de ce matin-là était pour le moins inattendue.
Les archives départementales du Finistère sont ouvertes au public du lundi au jeudi, quelques fois le vendredi, pour les rendez-vous de la recherche, mais pas le samedi. Impossible a priori d’organiser un rendez-vous ancestral, j’ai donc fait le déplacement en voiture. Ma quantiquette est restée dans son étui, au fond du placard. Et pourtant…
Arrivée à bon port, j’ai rangé manteau et sac dans le casier-vestiaire numéro 5, comme à mon habitude. J’ai gardé le strict nécessaire, crayon à papier et quelques feuilles pour prendre des notes, sans oublier mon téléphone portable, en silencieux, pour photographier les documents.
Entrée en salle de lecture, un personnel du service m’a attribué une place. Restait à demander communication des cotes trouvées sur Internet : 1628 W articles 40 à 45, commission départementale d’héraldique.
Sur l’ordinateur, il n’est pas possible de saisir plus de deux documents, alors pour éviter des déplacements inutiles aux personnels mieux vaut s’adresser au responsable de salle, et ainsi faire venir plusieurs liasses. En l’occurrence, j’en demandai cinq.
Ma commande passée, je disposai de vingt à vingt-cinq minutes pour consulter les armoriaux en libre-service. J’avais l’intention d’y chercher les armoiries des seigneurs de Combrit. Je m’approchai de l’étagère réservée à ces gros ouvrages, quand une voix murmura derrière moi :
« Bonjour madame, je peux vous aider ? »
Pensant qu’un archiviste venait gentiment à ma rescousse, je me retournai. Je crois bien que le sourire, que j’esquissai, s’est transformé en un éclair. Impossible de réprimer ma stupeur. L’homme qui se tenait devant moi ressemblait aux portraits de Louis Pasteur ou de Jules Verne. Aucun doute, sa barbe blanche et son costume fermé haut, il avait tout d’un homme respectable de la fin du XIXe siècle.
J’étais bien incapable de dire un mot. Il s’en rendit compte et reprit :
« Veuillez m’excuser, je vous ai fait peur. Je suis Pol Potier de Courcy, généalogiste et héraldiste. »
Quelle chance ! Un spécialiste me proposait ses services.
Mon étonnement passé, je me présentai à mon tour et lui expliquai ce que je cherchai :
« Mon étude porte sur des habitants de la commune de Combrit. J’aimerais trouver les armoiries de seigneurs des lieux. »
« Vous ne pouviez trouver meilleur interlocuteur », répondit Monsieur Potier de Courcy.
« Il y a quelques années, j’ai écrit, l’œuvre de ma vie : le nobiliaire et armorial de Bretagne. Certains y ont trouvé des erreurs et apporté des corrections. Très bien. La tâche était ardue. Je tenais à parcourir toute la Bretagne, du Finistère au pays nantais. Recenser plus de quatre mille familles n’est pas une mince affaire. Trois tomes en tout. J’ai fait une première publication en 1846, une autre en 1862, une troisième en 1890, je crois. »
J’en profitai pour le complimenter :
« Votre ouvrage reste une référence en la matière, Monsieur. Je crois bien qu’il a encore été édité au cours du XXIe siècle. »
« C’est-à-dire que je me suis attaché à utiliser des sources historiques. Je m’en étais ouvert à l’époque à mon ami Théodore Hersart de La Villemarqué. Si cela vous intéresse, demandez à consulter la lettre que je lui ai adressée. Elle est conservée ici même.
Mais revenons à vos recherches, pouvez-vous me donner le nom d’une famille combritoise ? »
« Sur la chapelle de la Clarté, deux armoiries sont encore visibles aujourd’hui. Pouvons-nous chercher à qui elles appartiennent ?»
Monsieur Potier de Courcy acquiesça. J’avais pris la précaution de prendre quelques photographies des sculptures avec mon portable. Je les montrai à l’historien.
« Hum… On dirait bien… »
Il ouvrit son ouvrage à la lettre K.
« Voyez, dit-il, d’azur à l’aigle éployée d’or. Un fond bleu, une aigle, les ailes déployées, de couleur jaune. L’aigle est féminin en héraldique, et le jaune est or. C’est une figure fréquente, toujours de face et ailes ouvertes, inutile de le préciser. Ce sont les armes des Kerlazret. »
Pol Potier de Courcy m’expliqua comment au fil des siècles et des mariages, les armoiries présentes à Combrit avaient changé, passant de l’écu d’argent à sept feuilles de houx du seigneur du Cosquer, à l’aigle des Kerlazret (ou Kerlazrec).
Enfin, en 1625, à compter du mariage de Julienne de Kerlazret et Alain Euzenou, le blason des Euzenou de Kersalaun était devenu écartelé au 1 et 4 d’azur plein, aux 2 et 3 d’argent à une feuille de houx.
Comme je lui demandai comment on pouvait retrouver les couleurs à partir d’un dessin en noir et blanc, l’érudit poursuivit :
« Le lecteur se repère aux hachures. Si les feuilles de végétaux sont facilement identifiables, il n’en va pas de même pour les quartiers 1 et 4 des armes des Euzenou de Kersalaun. L’azur est figuré par des hachures horizontales. Remarquez que l’on dit azur pour le bleu, sinople pour le vert. »
À ce moment, levant la tête, je vis que les documents que j’avais demandé étaient arrivés en salle de lecture. Je m’excusai auprès de Monsieur Potier de Courcy, et partai chercher la première liasse. Quand je regagnai ma place, le nobiliaire était ouvert à la page du P. Une feuille de papier jauni était posée bien en vue, quelques mots et cette signature.
Chère Madame, je ne puis rester plus longtemps, regardez à Penmorvan pour la seconde sculpture. Au plaisir d’une autre rencontre.
L’historien s’était volatilisé. A Penmorvan, je lus : d’argent au lévrier de sable, colleté d’or, surmonté d’un grêlier de sable, enguiché, lié et virolé d’or.
*PASTOUREAU, Michel, Traité d’héraldique, Paris, 2003, Grands manuels Picard, 4e édition, p11.
Sources :
– POTIER DE COURCY, Pol, Nobiliaire de Bretagne, Tome 2, Nantes, Paris, Forest, Grimaud et Aubry, 2e édition MDCCCXII, disponible en ligne sur gallica.bnf.fr .
– POTIER DE COURCY, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, Rennes, J. Plithon et L. Hervé, libraires-éditeurs, 1890, 3e édition, disponible en ligne sur wikisource.org .
– PASTOUREAU, Michel, Traité d’héraldique, Paris, 2003 4e édition (1ère édition 1979), Grands manuels Picard.
– TORCHET, Hervé, Combrit, Sainte-Marine, l’Ile-Tudy et Lambour au Moyen Age, Paris, La Perenne, 2013.
– VEYRIN-FORRER, Théodore, Précis d’héraldique, Bologne, Larousse, 2000 (1ère édition 1951), « collection Comprendre – Reconnaître ».
– www.tudchentil.org, site de l’association Tudchentil, 2002-2023, consultation du 19/03/2023.
– AD29, 263 J 2/2330, Lettre de Pol de Courcy à Théodore Hersart de La Villemarqué, au sujet du Nobiliaire et armorial de Bretagne et de l’origine et la noblesse de la famille Potier de Courcy, 1865.
quelle originalité pour ce RDV, bravo !
Un #RDVAncestral savant !