Rendez-vous postal

Voici déjà le troisième samedi du mois. Qui vais-je rencontrer en ce jour de #RDVAncestral ? Il fait beau, un tour de quantiquette me fera du bien. Faisons confiance à l’intuition. Je ferme les yeux, je règle le GPSQ, un tour à droite, un tour à gauche. Pour le démarrage, il vaut mieux les rouvrir pour éviter une mauvaise posture ou pire. Si la quantiquette part toute seule, je ne pourrai pas la retrouver. Un engin pareil, c’est précieux !

Vroum, vroum… Me voici en route. L’automatisme réduit déjà la vitesse, j’aborde l’atterrissage. Chouette ! Je suis à Bailly-aux-Forges, le village de ma grand-mère ! Je suis tellement venue ici qu’en un clin d’œil, je reconnais la mairie-école. Oui, je sais ! La dernière classe est fermée depuis longtemps. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais rencontrer des enfants ici. Tout est très calme, les vacances scolaires sans doute.

Je remise ma quantiquette à l’arrière du bâtiment. J’ai envie d’aller faire un tour chez mon arrière-grand-mère. Qui sait ? Avec un peu de chance, je vais la rencontrer.

Ouh là ! Que m’arrive-t-il ? La tête me tourne. Je gagne l’ombre des arbres sur le côté de la mairie et réussi à m’appuyer contre un tronc. Il fait une chaleur insoutenable ici.

« Un souci, Madame ? Vous avez besoin d’aide ?

L’homme qui s’adresse à moi n’est pas loin de la cinquantaine.
Malgré la température extrême, il porte pantalon et veste de couleur foncée. Il a une casquette pour se protéger du soleil. Il tient à la main une carte postale.

« Pouvez-vous garder ce courrier ? Je vous apporte un peu de fraîcheur. »

Il traverse la rue. Un filet d’eau approvisionne l’auge. Les bestiaux de la commune doivent s’y désaltérer, mais aujourd’hui il n’y a personne à proximité.
L’homme mouille son mouchoir et revient vers moi. Le contact frais du tissu blanc me fait du bien.

« Quelle chaleur, ces dix derniers jours !  reprend mon sauveur.
– Le thermomètre passe les trente degrés. Et moi qui doit aller à Montier-en-Der lundi ! Il va falloir partir de bonne heure ! »

« Quel jour sommes-nous ? Ce malaise m’a mis la tête à l’envers et sans votre aide, Monsieur… »

« Auguste Adrien, garde-forestier. Nous sommes le 15 juillet 1911. Vous n’êtes pas d’ici, on dirait ? »

« Effectivement, mais j’ai bien connu Bailly… autrefois. »

Comment lui dire que cet autrefois est un futur qu’il ne connaîtra pas ?
1911, ma grand-mère n’est pas encore née et, si mes souvenirs sont exacts, son frère n’a que six mois. Par contre, je me réjouis de pouvoir rencontrer leurs parents Denise Legrand et Alcide Cinet.

« Je viens rendre visite à ma famille, les Cinet. »
« À ça, quelle coïncidence, ce sont mes voisins ! Regardez cette carte, la photographie a été prise juste devant chez eux. Je ne pense pas qu’ils soient dessus. Moi-même, j’étais au bois ce jour-là. C’est bien dommage, car c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’avoir un photographe à Bailly. »

Auguste Adrien me montre sa carte et nomme les habitants qui résident aux alentours immédiats. Il y a les Constantin, des cultivateurs. Chez les Bailly, le père et le fils de quinze ans sont charbonniers pour le compte d’un patron. René Didelot est manouvrier chez Festugière. Il va à l’usine à pied, à Brousseval, tous les jours, tandis qu’Alcide Cinet, votre parent, travaille à Montreuil. Il est ébarbeur chez Réveilhac et Suppot. Quant aux Batonnier, Gustave et son fils, Louis, ont trouvé de l’embauche à Vaux-sur-Blaise, chez Bouchenot.

Je réfléchis un instant, Bailly et Vaux sont distants de cinq ou six kilomètres. Plus d’une heure de marche à l’aller pour ceux qui travaillent au plus près. Nos anciens n’étaient pas plus gâtés que nous.

Mon interlocuteur poursuit :
« Ça en fait des habitants de Bailly à travailler dans les forges ! La commune porte bien son nom, même si elle n’a pas d’usine, juste une scierie.
– Pour ce qui est des enfants, c’est René Didelot qui l’emporte. Cinq et la petite de sa femme, l’ainée, qui a seulement onze ans. Chez Bailly, ils sont quatre. Edmond a une quinzaine d’années, Lucienne doit avoir dans les sept ou huit ans et le petit Louis, deux ans. C’est peut-être bien lui sur la photographie ! »

Je demande à Monsieur Adrien s’il a des enfants :
« Deux filles ! La Germaine a vingt ans et sa cadette, Marcelle, déjà seize. Alors toutes deux travaillent pour ma femme. Du côté de la Maria, la couture, c’est une affaire qui se transmet de mère en fille.
– Bon, c’est pas que j’ennuie, mais il faut tout de même que je dépose cette carte pour que Madame Mergey la reçoive dans les temps. »

La curiosité doit se lire dans mes yeux, car Auguste m’explique qu’il doit prévenir ses hôtes pour ne pas qu’ils s’étonnent de leur arrivée précoce. Herman est un collègue des Eaux et Forêts. Sa femme, Hortense, est garde-barrière pour la Compagnie de l’Est, depuis qu’ils sont installés à Montier-en-Der.

« Avant son mariage, je crois bien qu’elle était cuisinière. Et je peux vous garantir que c’est un fameux cordon-bleu. Eux n’ont pas d’enfant, mais on m’a dit qu’ils ont maintenant un gamin de deux ans à la maison. Il viendrait de Paris. Jacques, à ce qu’il paraît ! »

Auguste Adrien soulève sa casquette pour me saluer, puis se dirige vers la boîte aux lettres. Il dépose sa carte puis rejoint la route de Mertrud.
Si je veux me rendre chez mes arrière-grands-parents, il me faut prendre la direction opposée. Il est tard, on verra ça une autre fois. Je récupère mon engin quantique. Je jette un coup d’œil à la boîte aux lettres communale. Elle est bleue, un modèle plus ancien que les jaunes auxquelles je suis habituée.

Je règle le GPSQ sur 2023. Mes pensées restent en ce début de XXe siècle. Pas de texto pour prévenir les amis. La carte postale en faisait office, envoyée le samedi pour prévenir d’une arrivée le lundi matin, chapeau les Postes et Télégraphes !

Sources :
– Bailly-aux-Forges – Entrée du Pays – Route de Vassy à Nully, carte postale ancienne, collection personnelle.
– SÉCHET, Guillaume, « Chronique 1911 », https://www.meteo-paris.com/chronique, site personnel de Guillaume Séchet, météorologiste et présentateur météo sur BFMTV, 2020, consultation du 19/08/2023.
– Musée de la poste, « Histoire des boîtes aux lettres », https://www.museedelaposte.fr/fr/fiches-pedagogiques, site du musée, consultation du 19/08/2023.

Pour visiter Bailly-aux-Forges et rencontrer ses habitants :
Rendez-vous à Bailly-aux-Forges
Bailly-aux-Forges aujourd’hui
On voit grand chez les Legrand
Un prénom plus lourd qu’il n’y paraît
Rendez-vous numérique avec Pipo

2 commentaires

  1. Les boîtes aux lettres bleues… nous sommes si habitués au jaune que cela m’a surprise !
    Et les cartes postales pour prévenir de son arrivée… Ah, l’importance du courrier !

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