Enquête de rentrée

Le sourd et le professeur

Le #Généathème de septembre 2023 est consacré à la rentrée : la rentrée du côté des enseignants, du côté des élèves et du côté des bâtiments. Côté élèves, mon voyage ancestral à Burie m’a fourni un sujet d’actualité. Le harcèlement scolaire ne date malheureusement pas d’hier. La lutte contre ce fléau est aujourd’hui difficile, mais cela n’était pas plus simple pour nos anciens.

L’inclusion des élèves handicapés progresse, mais, elle est loin d’être aboutie. Comment cela se passait-il au début du XXe siècle ? L’article de la démocratie de la Charente Inférieure, que Pierre Bouvier m’a fait découvrir, devrait nous donner des éléments de réponses.

Quelques clics sur Gallica, le numéro 18 du journal s’affiche.

La Démocratie de la Charente-Inférieure, 10 septembre 1905 – Gallica

Qui est ce jeune Pinchon âgé de dix ans, qui réside à Élincourt ?
Où se trouve Élincourt ?
Deux communes et deux hameaux portent ce nom. Une des communes est située dans le département du Nord et Élincourt-Sainte-Marguerite est dans l’Oise. Dans ce second département, un hameau de Morienval porte le même toponyme. Enfin, un dernier Élincourt, hameau de Saint-Blimont, est situé près de la Baie de Somme.

Les recensements de 1906 devraient nous en apprendre davantage. Pas de Pinchon dans l’Oise, ni dans la Somme. Pas plus sur les tables décennales. Par contre ce nom est très fréquent dans le Nord. Direction le site des archives départementales 59. Cet Élincourt compte une famille Pinchon, un couple avec quatre filles entre dix-neuf et quatorze ans, mais aucun garçon. Je les retrouve sur l’état-civil, ainsi que deux fils, né en 1893 et 1894. Mais ces deux petits n’ont pas vécu.

Poussant un peu plus avant, voici l’acte de naissance de Lucien Charles Pinchon, né dans la même commune, le 26 août 1898. La mention marginale indique qu’il est décédé le 24 juin 1972 à Mesnil-Saint-Laurent, dans l’Aisne. Est-ce le garçon dont il est question dans l’article ? Sa fiche matricule ne mentionne pas de surdité. L‘Audiphone a-t-il totalement compensé la surdité ?

Pourtant, l’âge ne colle pas. Lucien Charles Pichon avait seulement sept ans en 1905.

S’agit-il d’un autre enfant du Nord ? Les jeunes Pichon sont légion dans le secteur. Une dizaine dans un rayon de quinze kilomètres. Aucune mention de surdité sur les fiches matricules concernées, en revanche, tous ont servi pendant la Première Guerre mondiale. Certains ont été blessés, certains ont été décorés… Le lot des jeunes hommes de cette époque.

Puisque je ne parviens pas à retrouver cet enfant, revenons à l’article de journal.
Tiens, tiens ! Sur Gallica, la recherche dans la presse ancienne renvoie un nombre impressionnant de résultats pour l’Audiphone. Près de quatre cents ! Il y a là foultitude d’articles de journaux régionaux, et même de la presse enfantine.

Voilà mot pour mot, l’histoire du jeune Pinchon parue le 27 septembre 1905, dans le journal du Lot, et le 1er novembre 1905, dans la Ruche d’Asnières (Hauts-de-Seine). L’année suivante, Le Réveil du Nord relate la guérison d’un autre garçon, Émile Schmidt, de Montigny-Les-Metz (Moselle), dans son édition du 14 mai 1906.

Soudain, la référence à un article du Peuple, tri-hebdomadaire de Saintes (Charente-Maritime), de 1903, retient mon attention. Cette année-là, le jeune Pinchon d’Élincourt a déjà dix ans… Il n’est pas ici nommé Pinchon, mais Plinchon.
Plus de doute, je suis en train de lire des publicités. Hormis le patronyme du jeune, peu de différences entre les articles.
La marque de l’appareil est, cette fois, mentionnée. Il s’agit de « l’Audiphone invisible Bernard ». La société qui le commercialise est l’Institut de la Surdité, à Paris. D’abord installée au 19 rue de la Pépinière, elle déménage ensuite au 7 rue de Londres.

Le public visé est large, les anecdotes varient en conséquence. En 1902, l’Avenir d’Arcachon relate la guérison d’un jeune charpentier du Maine-et-Loire. Il est devenu sourd du fait des émanations de poussière. La même année, c’est une femme de quarante-sept ans, atteinte de goutte, qui recouvre l’ouïe explique un papier de La Tafna, journal de Tlemcen en Algérie. L’article indique qu’elle réside à « Gravchain ». Coquille probablement, ce serait plutôt Granchain dans l’Eure.

1907, le fabricant n’hésite pas et titre « la surdité n’est plus », dans le Jeudi de la Jeunesse. La même année, le Journal de Limoux (Aude) publie un questionnaire, que les lecteurs sont invités à retourner pour obtenir une consultation gratuite.

Réalisation HDNFamilles (sept. 2023)

Voilà pour la presse, pourtant, lorsque je cherche des renseignements historiques sur cette aide auditive, si extraordinaire, Internet est muet ou presque. À peine une définition sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

« audiophone, audiphone (audi(o)-, du lat. audire « entendre »), subst. masc., appareil acoustique destiné aux personnes atteintes de surdité, utilisant les os du crâne pour la transmission des vibrations sonores au labyrinthe«  (Méd. Biol. t.1 1970). »

Les sociétés qui commercialisent de nos jours les « descendants » de l’appareil ne mentionnent pas l’Audiphone Bernard dans leurs pages. L’histoire officielle part du coquillage de l’Antiquité, passe par la corne d’animal au Moyen Âge, et le cornet acoustique inventé en 1757 par un Français, Claude-Nicolas Le Cat.
Les professionnels présentent ensuite le Dentaphone. Créé en 1879, cette prothèse, tenue entre les dents, transmettait les sons par conduction osseuse. Beethoven, devenu sourd, l’a utilisée.
En 1902, Miller Reese Hutchison, ingénieur américain, développe et commercialise l’Acousticon. Trente ans plus tard, c’est le Sonoton qui remporte le marché.
Rien sur l’Audiphone pourtant déjà présent dans le Guérandais en 1899.

Alors info ou intox ? J’ai perdu la trace de l’appareil auditif sur la toile. Seuls quelques sites d’antiquités nous permettent de voir ce dont il s’agit.

Alors, si vous avez des éléments sur le sujet, n’hésitez pas à commenter !

Sources :
AD59 3 E 6694 Registre d’état civil d’Élincourt, 1891-1912.
AD02 21 R 226 Registres matricules Saint-Quentin.
– www.cnrtl.fr, site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultation du 23/09/2023.
– Audiphone invisible Bernard, www.vanleestantiques.com , consultation du 23/09/2023.
– Audiphone invisble Bernard, www.invaluable.com , consultation du 23/09/2023.

Documents en ligne sur Gallica, recherche sur l’Audiphone
– Le Guérandais du 26 novembre 1899
– La Démocratie de la Charente-Inférieure du 10 septembre 1905.
– Le Journal du Lot du mercredi 27 septembre 1905.
– La Ruche d’Asnières du 1er novembre 1905
– Le Réveil du Nord, 14 mai 1906.
– Le Peuple du 10 juin 1903.
L’Avenir d’Arcachon du 16 novembre 1902.- La Tafna du 7 mai 1902.
– Le Jeudi de la Jeunesse du 17 octobre 1907.
– Le Journal de Limoux du 24 mars 1907

1 commentaire

  1. Encore une invention tombée dans les oubliettes car surpassée par une autre… En tout cas ce n’avait pas l’air d’être très confortable !
    Superbe enquête, quel travail !

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