En février 2024, le thème du challenge UPro-G est le changement de nom. Pourquoi pas ?
Mais d’autres travaux me retiennent ailleurs et dans ma généalogie, pas de changement de nom.
Mais un matin, j’ouvre ma page Geneanet.
Hasard ? Intuition ? Appel des ascendants ? Appelez ça comme vous voulez, dans une petite fenêtre apparaît une silhouette et un nom : Charles Legrand.
Le voilà le changement de nom que je cherchais !
Je me souviens, maintenant, de m’être étonnée au sujet de ce quadrisaïeul. C’est que Charles n’a pas toujours été Legrand.
Cet arrière-arrière-grand-père de ma grand-mère paternelle naît le 31 juillet 1821, à Nully, village du nord-ouest de la Haute-Marne.
Son acte de naissance, en ligne sur le site des AD52, collection départementale, est bien curieux. Dans la marge, l’enfant est nommé Charles. Charles tout court, aucun patronyme. Quelques vues plus loin, la table annuelle compte bien un Legrand Charles, mais Legrand est écrit en tout petit et semble avoir été ajouté.
Pourtant aucun oubli du rédacteur sur ce premier document. La lecture complète apporte l’explication de la bizarrerie.
Jeanne Legrand, sage-femme de Nully, se rend à la mairie pour déclarer la naissance de Charles. Elle explique qu’Anne Bouilly, trente-cinq ans, épouse d’Étienne Legrand, tisserand, a accouché le matin même d’un enfant de sexe masculin, qu’elle a prénommé Charles. La déclarante est accompagnée de l’instituteur et d’un notaire royal, quand elle présente l’enfant au maire de la commune. Ce dernier s’étonne que le mari ne déclare pas lui-même le nourrisson. La sage-femme rétorque qu’il n’a pu se déterminer à le faire, attendu qu’il n’est marié que depuis quatre mois et vingt-cinq jours et qu’il n’a pas connu Anne Bouilly auparavant.
Voici donc l’affaire : Étienne Legrand n’est pas le père de Charles. Du moins, il ne se reconnaît pas comme tel.
Alors Charles grandit sous le nom de sa mère, Bouilly. Mais au fil des années, les archives gardent des traces contradictoires.
1836, recensement de population, Charles a quatorze ans, il est enregistré sur le document sous le nom de Legrand, au même titre que sa sœur cadette et son jeune frère, Charles « Stanislas ».
Par contre, en 1841, sur la liste cantonale de tirage au sort, Charles est dénommé Bouilly. Seul le nom de sa mère apparaît sur le registre. Le jeune homme est maçon, il demande une dispense du service militaire au motif qu’il est fils de veuve.
En effet, Étienne Legrand est décédé depuis trois ans. Le 1er août 1838, le fonctionnaire des impôts enregistre un seul nom d’héritier sur la table des successions et absences : « Legrand, Charles à Nully ». Mais de quel frère s’agit-il ? Sur les recensements de 1836 et 1841, le même prénom pour les deux garçons, alors que, plus tard, le prénom usuel du plus jeune est Stanislas.
En 1846, Charles, l’aîné, se marie. Il épouse Anne « Marguerite » Henriette Marchand (1824-1890). La jeune femme vit à Bailly-aux-Forges. Les démarches administratives nécessaires au mariage vont permettre, à Charles, de clore le chapitre des variations de son nom, en quelques semaines et trois étapes.
Première étape, la reconnaissance par sa mère
En matière d’état-civil, nous disposons, en France, de deux collections d’archives : la collection communale et la collection départementale, issue du greffe. Bien souvent, le généalogiste se contente de chercher les actes dans l’une ou l’autre des collections. Mais il est parfois utile de consulter les deux séries.
C’est ce que j’ai fait pour Charles Legrand, et j’ai ainsi fait une découverte. L’acte de naissance, collection communale, n’est pas tout à fait identique à celui de la collection départementale. Une mention marginale a été ajoutée et révèle qu’Anne Bouilly, la mère de Charles, a reconnu son fils le 30 janvier 1846, soit seulement quinze jours avant qu’il se marie. À vingt-quatre ans, Charles prend officiellement le nom de Bouilly.
Seconde étape, la publication des bans
Qui dit mariage, dit publication des bans dans les communes de naissance des futurs. Anne « Marguerite » Henriette Marchand est née et vit à Bailly-aux-Forges, alors le maire accompli la formalité le 1er février 1846 et annonce le futur mariage de Charles Bouilly.
Le même jour, l’officier d’état-civil de Nully se transporte devant la porte principale de la maison commune et publie le futur mariage de Charles Legrand, fils de défunt Étienne Legrand et Anne Bouilly.
Quel imbroglio ! Personne ne devait plus rien y comprendre et il fallait trancher.
Est-ce l’initiative du maire de Bailly-aux-Forges ? La question est posée au procureur.
Troisième étape, le mariage
Quinze jours après la publication des bans, Charles épouse Marguerite à Bailly-aux-Forges. Cette fois, c’est bien Charles Legrand qui se marie. Le maire ajoute une mention marginale à l’acte.
Le Sieur Charles Legrand a été publié sur l’acte de publication affiché sous le nom de Bouilly qu’il a toujours porté jusqu’alors, mais au moment de contracter mariage, son acte de naissance a été soumis à M. Le Procureur du Roi qui a décidé qu’il devait s’appeler Legrand.
C’est vraisemblablement à ce moment, que le patronyme a été ajouté sur la table annuelle des naissances de Nully.
À compter du jour des noces, l’affaire est close. Charles Legrand ne change plus de nom et le 16 septembre 1872, à huit heures du matin, Stanislas déclare que son frère s’est éteint la veille au soir, en son domicile de Nully. Il était le fils des défunts Étienne Legrand et Anne Bouilly.
Sources :
– AD 52 1 E 359/3 Collection départementale des naissances, mariages, décès, publications de mariages de Nully, 1802-1825.
– AD 52 E dépôt 13079 Collection communale des naissances, mariages et décès de Nully, 1813-1822.
– AD 52 158 M 359/1 Recensement de population de Nully 1836.
– AD 52 158 M 359/2 Recensement de population de Nully 1841.
– AD 52 3 Q 17/6, Bureau d’enregistrement de Doulevant-le-Château, table de successions et absences, L, 1835-1846 – 11.
– AD 52 E dépôt 13082 Collection communale des naissances, mariages et décès de Nully, 1843-1852.
– AD 52 1 E 34/4 Collection départementale des naissances, mariages, décès, publications de mariages de Bailly-aux-Forges, 1826-1847.
– AD 52 1 E 359/4 Collection départementale des naissances, mariages, décès, publications de mariages de Nully, 1826-1847.
– AD 52 1 E 359/6 Collection départementale des naissances, mariages, décès, publications de mariages de Nully, 1864-1878.
Merci pour ce partage d’histoire familiale et de vos démarches. Un vrai cas pratique pour le lecteur, ouvrant des pistes à explorer en cas de blocage.
Excellent ! « Patience et longueur de temps, font plus que force ni que rage. » JdeL