Oooh ! Attention ! Freinage d’urgence, terrain glissant…
Ouf, je l’ai échappé belle ! C’est la première fois que ça m’arrive !
Ma quantiquette s’immobilise à l’intérieur d’un bâtiment !
Un long couloir, un sol dallé. Je fais quelques pas, m’approche d’une baie vitrée. À l’extérieur, une cour carrée, entièrement minérale. Deux ailes complètent le bâtiment central. L’ensemble paraît dater du premier tiers du XIXe siècle. Il a mal vieilli. On dirait…
J’entends des voix. Elles viennent d’un des bureaux. Je gagne l’extrémité du couloir, me dissimule dans un recoin. La porte s’ouvre brusquement. Deux hommes sortent tout en discutant.
« Eh bien, voilà qui est fait, nous allons pouvoir rejoindre nos pénates.
– Combien de temps vous faut-il pour rentrer ?
– L’un dans l’autre, vous, à Lannion, moi à Ploumilliau, nous avons la même distance à parcourir. »
Les deux hommes rejoignent la sortie. Je m’avance.
Placardée sur la porte du bureau, une mention : déclaration des véhicules automobiles.
Voilà qui est intéressant. Rattrapons ces messieurs.
Les hautes grilles franchies, me voici sur la place du marché. Ma première impression était juste, j’ai rendez-vous à la préfecture de Saint-Brieuc, en Côtes d’Armor. Rectification, je suis plutôt dans les Côtes-du-Nord : les femmes portent le costume traditionnel et la plupart des véhicules des paysans, qui vendent au marché, sont des charrettes hippomobiles.
Un peu plus loin, deux automobiles dénotent dans le paysage. Je rejoins les deux propriétaires, lorsqu’ils regagnent leurs véhicules.
« Excusez-moi, Messieurs, j’ai cru comprendre que vous allez à Lannion. Pourriez-vous m’y amener ? »
Le plus âgé des deux fait les présentations. Il se nomme Paul Marie Aurégan. Il est notaire à Ploumilliau :
« Et voici Charles Marzin. Vous avez beaucoup de chance, non seulement Charles habite Lannion, mais il est mécanicien. Avec lui aucun risque de panne ! »
Tandis qu’il rit, Charles poursuit :
« De toutes façons, nos deux automobiles sont neuves. Nous venons de les faire immatriculer. Le même modèle, des Renault type II. »
Il lit le document remis par le fonctionnaire préfectoral :
« 17 décembre 1921, Marzin Charles, mécanicien, allée du tribunal à Lannion, voiture Renault, type II, n°99910, 10 HP, immatriculation 7255 L2.
– La mienne, la 99909 a la plaque précédente, 7254 L2, comme il se doit, ajoute le notaire.
– Bon, je vous souhaite une bonne route, je voudrais être de retour avant la nuit, il est temps de démarrer. »
Charles Marzin installe mon bagage à l’arrière de sa voiture. Il ouvre la portière côté passager pour que je puisse m’installer. Tours de manivelle, nous sommes prêts à partir.
Nous quittons rapidement Saint-Brieuc. La route n’est pas goudronnée, le confort de la Renault est sommaire. Mon hôte n’en paraît pas incommodé. Il m’explique que lorsqu’il a acheté sa De Dion-Bouton, en 1910, les voyages étaient bien folkloriques :
– « Le démarrage, c’était toute une histoire. Je vous passe les détails, mais il fallait manœuvrer un levier et un volet, avant de pouvoir donner le premier tour de manivelle. Au bout de huit à dix coups, le moteur partait, mais il valait mieux laisser tourner un moment sous peine de caler. »
Charles m’explique qu’il avait alors une 12 chevaux. 12 chevaux, 10HP, ça y est, j’y suis ! HP pour horsepower, la puissance, le cheval-vapeur britannique.
Mon chauffeur poursuit :
« Il valait mieux être bien équipé. Casquettes, gants et lunettes s’imposaient. Pourtant, la AC avait déjà un pare-brise. Pour les dames, chapeau à voilette bien attaché obligatoire. Il y avait encore pas mal de bois sur cette automobile, les roues par exemple, avec leurs gros rayons et leurs jantes. Rien à voir avec ce nouveau modèle. »
Après un moment de silence, Charles reprend :
« Bas, il vieillira aussi, alors je le revendrai. C’est un bon utilitaire, spacieux, économique, il conviendra bien à un mareyeur. » Charles pouffe de rire à cette pensée.
Nous voici déjà à destination. Le mécanicien me dépose et rejoint son entreprise. Je vais chercher de quoi rejoindre la côte et Pleumeur-Bodou. C’est là que Pierre Marzin, le fils de Charles, parviendra à installer le CNET et son radôme. Pour l’instant, ce n’est encore qu’un collégien lannionnais.
Quant à Charles, il ne croit pas si bien dire. Sa Renault II, il l’a vendue le 25 juin 1930, à madame Veuve Mélanie Gaouyat, mareyeuse à Locquémeau-en-Trédez.
Sources :
– AD 22, S supplément 4, cartes grises n°484 à 1543, délivrance des récépissés de déclaration de véhicules automobiles, 1910 à septembre 1914.
– AD 22, S supplément 4, cartes grises n°3280 à 6401, récépissés de déclaration de véhicules automobiles, du 21 mars 1921.
– AD 22, 1428 W 4, Automobiles, déclarations de mise en circulation et immatriculation, 1930.
– www.voitures.renault.free.fr , Toutes les Renault produites année par année, site personnel, auteur inconnu, consultation du 15/06/2024.
– PUIBOUBE, Daniel, Un siècle d’automobile en France, Chine, Sélection du Reader’s Digest, 2008 (4e édition).
Un voyage en voiture ancienne !!! quel rêve 👍👍
Quelle équipée !