1913 : Le téléphone sonne dans les Côtes-du-Nord

AD22 HP 22 B -couverture de l'annuaire Guyon

En feuilletant l’annuaire des Côtes-du-Nord de 1913, une surprise saute aux yeux : certains abonnés ont… un numéro de téléphone. Simplement un chiffre, parfois à peine supérieur à 10. Cette apparition d’un outil aussi emblématique de la modernité marque un tournant. Désormais, l’annuaire ne se contente plus de répertorier : il connecte. Il devient un réseau, et reflète une nouvelle façon de travailler, d’échanger, de commercer.

Un exemple frappant illustre cette transition : Charles Marzin, mécanicien installé à Lannion, y figure avec le numéro de téléphone 24. Une information apparemment anodine, mais qui en dit long sur son statut, sa clientèle, et l’avancée technologique du territoire.

L’annuaire devient un réseau

Entre 1882 et 1913, le contenu et l’organisation des annuaires évoluent profondément. Si la logique économique reste forte, une nouvelle dimension apparaît : la communication instantanée à distance.

L’annuaire de 1913 donne accès à une liste d’abonnés téléphoniques. On y repère des entrepreneurs, des professions libérales, des services publics, quelques commerçants bien établis. Ces abonnés sont les précurseurs d’un nouveau monde professionnel, plus rapide, plus interconnecté.

Avoir un téléphone, c’est afficher une modernité assumée, une volonté de gagner en efficacité. Pour un artisan comme Charles Marzin, c’est un moyen d’être contacté pour des réparations urgentes, de recevoir des commandes, ou de passer lui-même des appels vers des fournisseurs. Son numéro 24 montre qu’il fait partie des premiers à adopter cette innovation dans sa commune.

La montée en puissance des PME et des artisans

Les annuaires de cette époque montrent une forte structuration du tissu artisanal et industriel local. Dans les Côtes-du-Nord, on y retrouve une profusion de petites entreprises, d’ateliers spécialisés, de maisons familiales.

Le cas de Charles Marzin, mécanicien à Lannion, est emblématique. Ce métier, aujourd’hui courant, était alors à la pointe de la technique. Le mécanicien intervenait aussi bien sur des machines agricoles, des moteurs à vapeur, des systèmes hydrauliques ou même sur les premiers véhicules motorisés. Sa présence dans l’annuaire avec une ligne téléphonique montre que son activité dépassait le simple cadre local. Il a des clients dans tout le Trégor.

Adresse et téléphone de Charles Marzin
Extrait de l’annuaire Guyon des Côtes d’Armor de 1913

Une nouvelle géographie des échanges

Avec le téléphone, c’est une nouvelle géographie économique qui se dessine. Le territoire ne se pense plus seulement en kilomètres, mais en accessibilité instantanée. L’entreprise devient joignable, disponible, réactive.

Les villes comme Saint-Brieuc, Lannion ou Guingamp concentrent les abonnés. Mais certains bourgs plus modestes commencent eux aussi à se doter de lignes. Ce phénomène n’est pas uniforme, et les annuaires permettent de cartographier les premiers foyers de diffusion du progrès technique.

Pour les généalogistes : une nouvelle finesse de recherche

En généalogie, l’annuaire de 1913 est une source de grande valeur :

  • Il permet de suivre l’évolution d’une entreprise familiale, déjà mentionnée dans les annuaires précédents.
  • Il précise le niveau de développement d’une activité professionnelle.
  • Il révèle des informations inédites, comme l’existence d’une ligne téléphonique, parfois absente des archives traditionnelles.
  • Il donne un aperçu de la clientèle potentielle : si l’on retrouve plusieurs corps de métier dans un secteur géographique restreint, cela peut suggérer un bassin économique actif.

Un monde au seuil du bouleversement

L’annuaire de 1913 est également poignant. Nous sommes à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans l’année suivante, des milliers de ces artisans, commerçants, employés ou entrepreneurs vont être mobilisés. Certains ne reviendront pas.

Ce document est donc aussi un instantané fragile, capturant une société en équilibre, encore pleine d’élan et d’innovation, juste avant le choc du XXe siècle. Il constitue une source précieuse de mémoire, que le généalogiste se doit d’explorer avec attention et respect.


📸 Conclusion de notre série :

À travers trois annuaires – 1836, 1882 et 1913 – nous avons observé une véritable transformation du territoire et de ses acteurs :

  • L’administration centralisée des débuts cède la place à une société plus économique et technique.
  • Les élites foncières et libérales sont progressivement rejointes (et parfois remplacées) par une bourgeoisie entrepreneuriale et urbaine.
  • La communication devient un enjeu central avec le téléphone, annonçant l’ère des réseaux.

Pour nous, généalogistes, ces annuaires sont bien plus que des listes de noms : ce sont des outils de compréhension du réel, des témoins de l’histoire familiale, et des clés pour enrichir la mémoire des lignées.

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