Recette de fêtes

Le 28 décembre 2021

Mes chers neveux,

Il y a quelques mois je vous ai raconté le Tour de France qu’avait vécu Mamie Cotte en 1947. Aujourd’hui entre Noël et Nouvel An, je voudrais vous livrer un de mes souvenirs d’#AnimalAncestral. Pas un souvenir d’animal de compagnie, comme lorsque j’ai rencontré le chien Pipo. Non, un souvenir à savourer au sens propre. Cœurs sensibles s’abstenir, gourmands vous pouvez continuer.

Vous le savez, notre famille est en grande partie originaire de ce qui est actuellement la communauté d’agglomération Saint-Dizier Der et Blaise. Pépère PORTE a vécu à Bailly-aux-Forges, à côté de Wassy (Haute-Marne).
Ta mère, mon neveu francilien breton, ton père, mon neveu à l’accent chantant, et moi avons souvent été en vacances chez nos grands-parents paternels. Ils nous prenaient à tour de rôle, jamais à deux, encore moins à trois, alors il fallait se répartir les vacances.
Au moins avec cette organisation, nous étions enfant unique à tour de rôle, comme notre père l’avait toujours été.

A Bailly, il avait de nombreuses activités saisonnières que nous faisions avec Pépère. Aller au bois pour les coupes de bois de chauffe, aux champignons, aux pissenlits, à la pêche aux grenouilles et aux tanches et puis ramasser les escargots.

Je ne sais plus très bien à quelle saison nous ramassions les escargots. Grâce au congélateur, cela n’avait plus trop d’importance, il suffisait de les cuire puis on pouvait les conserver jusqu’aux fêtes.

Première étape, il fallait aller à la chasse aux escargots. C’est ce que je faisais avec Pépère. Je pense que j’étais encore très jeune, moins d’une dizaine d’année.
Je me souviens d’être allée une fois avec le grand-père sur la route de Vaux. A peine six kilomètres séparent Bailly-Aux-Forges et Vaux-Sur-Blaise. Mémère, Andrée CINET, avait parcouru la distance entre les deux villages, avec son père, lorsqu’elle était en apprentissage de couturière. Elle avait rencontré Marius à cette période, ils s’étaient mariés ensuite, un peu par la force des choses, puisque Mémère était tombée enceinte de votre grand-père.

Pépère PORTE avait l’habitude de trouver de très beaux escargots de Bourgogne sur la route de Vaux. Mais cette fois-là, pas l’ombre d’une coquille, pas une trace de gastéropode, rien, nous sommes rentrés bredouilles.
Ce n’était pas très étonnant en fait. L’escargot de Bourgogne était très apprécié et dans les années 70, il a failli disparaître. Espèce protégée, l’escargot ! Et ça ne concerne pas que les animaux emblématiques dont on entend parler dans les médias. Un arrêté du ministère de l’environnement et du cadre de vie(1) a donc limité son ramassage à partir de 1979.

Heureusement l’industrie avait déjà inventé l’escargot en conserve et ces mésaventures ne nous empêchaient pas de nous régaler pour les fêtes. Il fallait juste faire attention d’acheter local, car outre les fermes hélicicoles françaises, on trouvait beaucoup de conserves polonaises.

Cette affaire a dû d’ailleurs bien arranger Mémère car la préparation de l’escargot, c’est tout une affaire.
Si vous avez l’âme sensible, mes chers neveux, vous pouvez ne pas lire le paragraphe suivant.

Après avoir ramassé les escargots, il faut les préparer. Je ne connais pas précisément la technique adoptée par ma grand-mère, mais plusieurs étapes s’imposent.
D’abord les débarrasser des herbes toxiques pour l’homme et appétentes pour les gastéropodes, comme la cigüe, poison que Socrate du absorber suite à sa condamnation à mort.
Le célèbre cuisinier Alain DUCASSE(2) propose de les nourrir de son pendant 4 à 5 jours et de les faire jeûner une semaine. Je crois bien que Mémère et Pépère les laissaient jeûner plus longtemps et ne les nourrissaient pas du tout. On peut les laisser ainsi dans une caisse en bois, bien fermée car la force de ces petites bêtes est incroyable : j’en ai vu parvenir à pénétrer sous un panneau d’affichage pour déguster tranquillement le papier des affiches.
Une quinzaine de jours plus tard, les arroser, éliminer ceux qui ne montrent pas le bout de leurs cornes, les laver un à un, soigneusement. Les asperger de gros sel et de vinaigre afin de les faire baver.
Ensuite les plonger 5 minutes dans de l’eau bouillante salée et vinaigrée. Les égoutter, puis les décoquiller et retirer le tortillon.
Passez enfin à la cuisson en court-bouillon pendant quarante minutes, laissez tiédir ainsi, égoutter.

C’est à ce stade de préparation qu’on peut les congeler et c’est ce que nous avons fait au moins une fois.
Alors que les escargots de Bourgogne devenaient très rares en Haute-Marne, nous avons passé un mois de vacances à Castellane (Alpes-de-Haute-Provence). Mamie Cotte et votre grand-père, Jean-Marie PORTE, avaient loué là-bas un cabanon au mois de juillet 1973. Les habitants ne devaient pas aimer manger des escargots, car après une ondée rafraichissante, des centaines d’escargots ont pointé leurs cornes. Nous les avons ramassés, installés dans une caisse en bois grillagée et ramenés en Haute-Marne. Castellane-Bailly-aux-Forges, près de sept-cents kilomètres en deux jours, jamais escargots n’avaient parcouru une aussi longue distance et si rapidement !

Au Noël qui a suivi nous avons dégusté ces escargots du sud, à la Bourguignonne. C’est là que Pépère PORTE entre de nouveau en scène, car la préparation finale lui revenait toujours.
Il fallait le voir préparer le persil et l’ail, coupés avec son canif pour préserver un goût très fin. Cela me semblait durer des heures.
Il sortait son canif de sa poche, prenait une planche à découper, taillait très finement le persil, puis l’ail. Le beurre était préalablement sorti pour ramollir. Les trois ingrédients étaient mélangés à la fourchette. Il fallait bien malaxer, saler au plus juste, ni trop, ni trop peu. Je ne sais plus s’il ajoutait du poivre.
On goutait le beurre d’escargot cru, et quand le mélange convenait, il fallait mettre un à deux escargots dans une coquille, recouvrir de beurre aillé et persillé, lisser la surface, poser l’escargot dans un plat.

Cette étape se faisait à plusieurs : Pépère, Mémère, nous les enfants, si nous voulions. Moi, j’adorais ça. Mettre l’escargot, le beurre dans la coquille, agencer correctement les coquilles prêtes dans le plat, l’ouverture bien au sommet pour ne pas que le beurre s’écoule au réchauffage.
Quand tout était fini, Pépère essayait son canif et le rangeait dans sa poche, jusqu’au repas.

Le jour de Noël, quelques fois à Pâques, après l’apéritif, Maman ou Mémère mettaient le premier plat au four. Il faut une forte température et dès que le beurre fait quelques bulles, c’est prêt.
Restait à passer à la dégustation, une douzaine chacun, et un peu de rab pour les plus gourmands.

Vous sentez le doux parfum ?
Allez mes neveux, je vous laisse rêver ou peut-être aller demander à vos parents s’ils ont prévu des escargots pour le 1er janvier 2022.

Hasard du calendrier, il y a aujourd’hui exactement trente-cinq ans votre arrière-grand-père, Marius PORTE s’éteignait à l’hôpital de Saint-Dizier (Haute-Marne) à soixante et onze ans. Je crois que s’il y a un paradis, il est en train de préparer des escargots pour le Nouvel An.

Gros bisous.

Tatie de Bretagne

  1. Arrêté du 24 avril 1979 fixant la liste des escargots dont le ramassage et la cession à titre gratuit ou onéreux peuvent être interdits ou autorisés Journal officiel de la République française ; Lois et décrets. Numéro complémentaire n°0110 du 12/05/1979.
  2. Site de l’Académie du Goût, Tous les secrets des grands chefs.

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