Rendez-vous en gare de Pont-l’Abbé

AD29 2 Fi 220/258 Pont-l’Abbé, vue générale de la gare

Ce matin, j’ai #RDVAncestral en gare de Pont-l’Abbé. Nul besoin, ici, de dissimuler ma quantiquette. Dès mon arrivée, ce jeudi 4 mai 1911, je l’ai rangée dans son sac brodé.
Quelle précision de date me direz-vous ! D’abord, mon GPSQ fonctionne à merveille. Les nouveaux réglages, me permettent d’atteindre parfaitement mes cibles spatio-temporelles, à l’heure près. Et puis, il était de la plus haute importance que je débarque un jeudi dans la capitale bigoudène. Le jeudi, c’est marché à Pont-l’Abbé et le premier jeudi de chaque mois, c’est même foire.

Je voulais voir du monde, c’est réussi. Il y a foule. Des hommes, des femmes remontent la rue de la gare, et gagnent la place de la République et plus haut la place Gambetta. Ce n’est pas le moment d’aller saluer les commerçants des halles, il doit y avoir une queue interminable.
Mais suis-je bête ! Yaël, Julie, Sophie et leurs colocataires, n’étaient pas nés en 1911.

Énorme différence avec le XXIe siècle, nombre de Bigoudènes arborent leur célèbre coiffe. Elle n’a pas encore atteint la taille qu’on lui connaît à travers les danseuses des cercles celtiques.

À contresens, je progresse lentement. J’ai le temps d’écouter les conversations. Trois amis s’agacent :

« Rien n’a changé depuis notre lettre ouverte au directeur du chemin de fer !
– Pour sûr que non, toujours aussi difficile de trouver une place. Les wagons sont bondés dès Penmarc’h. Au Guilvinec, pour monter dans un wagon, il faut jouer des coudes.
– Ce matin, à Plobannalec, les gens s’entassaient les uns sur les autres. Ça criait « Montez, montez vite, dépêchez-vous ».
– Gast ! C’est que tout le monde veut faire son marché ! »

Cahin-caha, j’arrive à la gare. Un train vient de déverser son flot de voyageurs, un autre démarre au coup de sifflet. Il part pour Quimper. J’entre dans le bâtiment au moment où un homme en uniforme de la Compagnie PO rejoint le hall, depuis les quais.
PO pour Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans. J’ai déjà lu çà sur des recensements de population.

« Bonjour Monsieur, quelle cohue ce matin ! 
– Madame, me répond l’homme en soulevant légèrement sa casquette.
– C’est comme ça tous les jeudis et c’est bien pire l’été quand, en plus, les touristes arrivent. »

Coup d’œil au tableau d’affichage. Je comprends que mon interlocuteur dispose d’un peu de temps. D’ailleurs, il regagne le guichet tout en discutant.

« Une belle journée aujourd’hui. C’est tant mieux pour le marché. »

Nous devisons quelques instants, puis je le lance sur le sujet de ma venue : en apprendre un peu plus sur l’histoire de la gare de Pont-l’Abbé.

« Pardonnez – moi, vous êtes le chef de gare ?
– Joseph Maigné, pour vous servir. »

Je me présente à mon tour, explique que je suis journaliste, que j’écris un article sur le chemin de fer du Pays Bigouden. Le maître des lieux semble ravi, mais un peu inquiet de ce que pourrait dire sa hiérarchie. Personne ne l’a prévenu. Au fil de nos échanges, il devient plus loquace.

La ligne de voyageurs, Quimper-Pont l’Abbé, a été ouverte en 1884. Le trafic de marchandises s’est ensuite développé, avec poissons et fruits de mer, puis grâce à la création du tronçon Pont-l’Abbé-Saint-Guenolé.

« Ici, on l’appelle Tren Birinik, le train bernique. Quelques années plus tard, une autre portion a été mise en service jusqu’à Audierne. Celui-ci est surnommé le train « carottes » parce que le Pays Bigouden est une terre de maraîchage, vous savez. »

Joseph Maigné s’interrompt, il semble parti dans ses souvenirs. Il hésite, puis soudain reprend :
« Avant Audierne, cette ligne s’arrête à Pont-Croix. C’est là que je suis né. 
– Voilà ce qui explique que vous êtes arrivé ici.
-Détrompez – vous, Madame, le trajet n’a pas été direct. »

Le chef de gare m’explique que, s’il a toujours travaillé pour la même compagnie, il a souvent changé de poste. Paris, où il a rencontré son épouse, puis Tours, puis Chantenay, et Lorient.
« Ce n’est pas un enfant dans chaque port, mais dans chaque gare. » Il rit.

« Je ne savais pas que les mutations étaient si fréquentes dans les chemins de fer.
– Les chefs de gare ne restent pas très longtemps au même endroit. Voyez, je crois que, quand la gare a été inaugurée, le responsable était Charles Huet. Quoique ? En tous cas, je suis certain qu’il était là en 1886. En 1891, c’était Jean-Baptiste Esnault. Là, pour sûr, je m’en souviens, je le connais bien. Il a été nommé ensuite à Guéret. Un gros poste. Il s’est retiré à Vivy, dans le Maine-et-Loire. Il a eu le Mérite Agricole, je ne sais plus pour quelle raison. »

Je reprends la parole :
« Je me suis laissé dire que des personnalités venaient ici en villégiature. En avez-vous rencontré ?
– Ma foi non. Pas encore. Et, tout le monde ne prend pas le train. On m’a raconté qu’avant la création de la ligne, la côte était déjà à la mode. Par exemple Guy de Maupassant a séjourné à Pont-l’Abbé. »

Joseph Maigné éveille mon intérêt. Il reprend :
«  Vous savez, les bigoudens n’en gardent pas un bon souvenir. 
– Pour quelle raison ?
– De retour de voyage, il a écrit une nouvelle, qui fait passer les habitants d’ici pour des rustres et des ivrognes. Une histoire de fils, qu’un voyageur aurait eu avec une servante, qui ne parlait que breton. Trente ans plus tard, l’homme revient à Pont-l’Abbé, demande ce qu’est devenue la servante. On lui dit qu’elle est morte en couches. L’aubergiste a gardé l’enfant, un pauvre idiot, qui boite et ne pense qu’à s’envirer. »

Le chef de gare lève les yeux vers la grosse pendule accrochée dans le hall.
« Excusez-moi, Madame, mais le devoir m’appelle. »

Je le remercie du temps qu’il m’a consacré. J’ai matière à un joli article.
Joseph se dirige vers le quai, je sors de la gare. Si je ne veux pas me retrouver dans la foule, il est temps d’enfourcher ma quantiquette.

Sources :
– AD29 14 Fi 659-662, Les châtaigniers de Kerzeoc’h, 1930-1940, photographies.
– AD29 3 E 51/8 Combrit, sépultures, 1779-1792.
– BOUET, Alexandre, Galerie Bretonne ou vie des Bretons de l’Armorique, Tome 3, Paris, Isidore Pezron Libraire-Éditeur, 1838.
– JÉZÉGOU, Mickaël, Arbres remarquables du Finistère, Locus Solus, Nature Patrimoine, 2019.
– SUARÈS, André, Le livre de l’émeraude : en Bretagne, Paris, Calmann-Lévy sans date, vers 1900.
– TORCHET, Hervé, Combrit, Sainte-Marine, l’Ile-Tudy et Lambour au Moyen Age, Paris, La Perenne, 2013.
– TORCHET, Hervé, Combrit, Sainte-Marine, l’Ile-Tudy et Lambour de 1500 à 1600, Paris, La Perenne, 2015.
– Réformations de la noblesse de Bretagne, consultable en ligne sur Gallica, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9062166p/f222.item.zoom
www.fr.brezhoneg.bzh/40-kerofis.htm
KerOfis, Base de données du service Patrimoine linguistique et signalisation de l’Office public de la langue bretonne, consultation du 25/11/2023.
– Centre Généalogique du Finistère, Bibliothèque numérique, Relevés des archives du Finistère 18 B 410, juridiction de la Baronnie du Pont, tutelles.

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