Rendez-vous signature

Difficile, ces derniers matins, de me rendre aux archives départementales du Finistère. Le risque de verglas me rebute. Les prévisions météorologiques se révèlent inexactes. Mercredi, on nous annonçait une catastrophe ; jeudi, un redoux et des voies dégagées. C’est l’inverse qui est arrivé. Jeudi, de bonne heure et de bonne humeur, je me lève et me dispose à me préparer. Je sors le chien. Flûte ! il tombe une pluie très bizarre, mi-verglacée et mi-neige fondue. Il faut faire attention où l’on met les pieds, ça tient au sol et ça glisse.

J’ai renoncé. Pourtant, le vendredi, les AD29 ne sont pas ouvertes au public et j’ai lu sur leur site : « Fermeture annuelle pendant les vacances scolaires de Noël ».
Comment faire ?
J’ai bien de quoi occuper quinze jours entre les documents en ligne, ceux que j’ai photographiés lors de précédentes visites, et diverses lectures. Mais voilà, j’ai une furieuse envie d’en savoir plus sur le mariage de Marie Perrine Jézéquélou (1850-1929) avec Jean Marie Lelgouarch (1847-1899). Depuis que j’ai lu, sur leur acte de mariage, qu’un contrat avait été fait en leur faveur, le 5 novembre 1868, j’ai hâte d’en savoir davantage.

Vous vous souvenez de Marie Perrine Jézéquélou ? Je vous ai parlé d’elle à plusieurs reprises pendant le challenge AZ 2022. Elle a eu une drôle de vie de femme et de mère, Marie Perrine.
Elle a perdu son mari, et quatre fils en deux naufrages. Et puis j’ai appris, par la presse, que leur propriété de Penhouet-Cochou*, en Combrit, avait fait l’objet d’une saisie immobilière. Vendue en août 1886. C’est vraiment très pratique, pour les généalogistes, l’océrisation !

Heureusement, Marie Perrine a connu des jours heureux, et à n’en pas douter son mariage fut l’un d’eux. J’imagine que déjà le jour de la rédaction du contrat, l’excitation devait être importante pour la jeune fille de dix-huit ans. C’est bien jeune pour parler argent, dix-huit ans !

Une seule solution pour profiter de ce jour-là, me rendre sur place, à l’étude de Maître Mauduit, notaire à Pont-l’Abbé. Je sors ma quantiquette de son sac, règle le GPSQ sur le début novembre 1868. Pourvu que la précision soit meilleure que celle de la météo.

Me voici dans la place, ou plutôt sur la place de la Magdeleine, future place de la République. A l’habitude, je dissimule ma quantiquette. Il fait un peu frisquet pour la saison, mais je sais grâce à Internet que le mois de novembre 1868 a été froid, c’est bon signe. Je demande à un passant où se trouve l’étude de Maître Mauduit et m’y rend promptement.

J’entre, personne dans le hall, je me dirige vers une porte entrouverte. Des bruits de voix, je m’avance, deux hommes me font face. L’un porte des mitaines et écrit vigoureusement pendant que l’autre parle. Le notaire sans doute et l’un de ses employés. Devant eux et me tournant le dos deux femmes et un homme. Ou plutôt une jeune fille et une dame âgée.

Ce n’est pas joli, joli, d’écouter aux portes ! Je me retire un peu et m’assois sur la chaise la plus proche de la pièce. Je pourrai ainsi trouver un motif correct à ma présence.
Parfait, j’entends très distinctement ce qui se dit.

L’un des deux hommes poursuit :
« Bien, je crois que nous avons terminé, il me reste à vous lire le contrat, avant de passer aux signatures. »
Il entame aussitôt la lecture de l’acte qu’il a rédigé :
« Devant Maître Mauduit et son collègue, notaires à Pont-l’Abbé, arrondissement de Quimper, Finistère, soussignés, ont comparu, Jean Marie Lelegouarc’h, cultivateur, demeurant au village de Kerbénoen en la commune de Combrit. »

Il était temps que j’arrive, dis donc !

« Fils majeur de Jean Marie Lelgouarc’h et de Marie Kerviel, tous deux décédés ; et Marie Perrine Jézéquélou, fille mineure de René Jézéquélou et Marie Narzul, les deux décédés. »

Cela me revient ! Les deux futurs sont orphelins et la dame âgée, qui accompagne Marie Perrine, est sans doute sa grand-mère. Elle vivent ensemble à Penahoat-Cochou. Bien sûr, Penhouet-Cochou et Penahoat-Cochou, c’est la même chose ! La pauvre va perdre l’héritage de sa grand-mère !

Concentrons-nous ! Les textes juridiques ne sont pas faciles à suivre.

C’est bien Marie Perrine Sévignon, la grand-mère qui est là. Maître Mauduit poursuit sa lecture :
« Article 1er, les futurs époux ont adopté le régime de la communauté tel qu’il est établi par le Code Napoléon. »

L’article 2 stipule que les futurs époux ne seront pas tenus des dettes et hypothèques que l’un ou l’autre aura pu contracter avant leur mariage. Les articles suivants détaillent la dot de chacun : pour Jean Marie, deux mille cent francs en argent et créances, pour Marie Perrine, trois mille cent quatre vingt dix neuf francs, plus six cent francs, plus quinze cent, plus des droits immobiliers dans des villages.
Le notaire va trop vite, je n’ai pas tout compris, mais il est évident que la corbeille de la mariée est plus belle que celle du futur époux.

Dans ces conditions, je comprends bien que l’article 5 réduit la communauté aux acquêts.
L’article 6 est pour moi incompréhensible, d’autant plus que le notaire est déjà passé à l’article 7 :
«  En cas de dissolution de la communauté sans enfant du mariage, le survivant aura terme et délai d’un an pour rembourser les héritiers du prédécédé, des sommes et valeurs dépendant de la succession de ce dernier. »

Ouf ! Je sens se rapprocher la fin de la lecture, lorsque l’officier public lance :
« Dont acte ».
Il rappelle les articles du Code Napoléon et termine :
« Et après lecture Jean Marie Lelgouarch a seul signé avec les notaires ; lesdites Marie Perrine Jézéquélou et Marie Perrine Sevignon, individuellement requises de signer, ayant déclaré ne le savoir faire. »

Je me lève sans bruit et m’avance vers la porte entrebâillée. Je ne veux pas rater ça.

Maître Mauduit tend sa plume au futur. Jean Marie signe avec application. Il ne doit pas en avoir souvent l’occasion. Puis il redonne l’instrument au notaire, qui signe à son tour d’un trait assuré. Il s’adresse à son collègue :
« à votre tour, Le Déliou. »

Il faut vite que je m’éclipse, si je ne veux pas être en butte à des interrogations.
Je sors sur la pointe des pieds, récupère mon engin. Il sera temps d’exulter quand je serai de retour au XXIe siècle.

* Penhouet-Cochou (Penn ar C’hoed – Kochou, en breton) se situe à Sainte-Marine. Se reporter à la Framacarte établie pas Ifig Flatrès pour plus d’informations par ici.

Carte postale en ligne sur Geneanet, capture du 17/12/2022.

Sources :
L’union monarchique du Finistère, FRAD029_4MI_046_1886_07_03_001_1886_07_31_006.pdf, p27, consultation du 17/12/2022.
Contrat de mariage entre Jean Marie Lelgouarch et Marie Perrine Jézéquélou, Archives départementales du Finistère, 4E_206_113 n°295.

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