Quand une généalogiste entre en cuisine de fêtes

Rendez-vous ancestral culinaire

Je n’ai guère de temps à consacrer à un rendez-vous ancestral aujourd’hui. Il faut que je concocte mon menu de fête. Que servir à mes invités ? J’ai bien une idée, mais j’aurai besoin des conseils de Pépère. Voilà presque trente-huit ans qu’il nous a quittés, un peu tard pour lui demander une recette.

Mais suis-je bête ! Il n’y a qu’à sortir la quantiquette et faire un saut de puce jusque dans les années 70.

Allez, réglage du GPSQ sur Noël 1973, m’est avis que ça va coller. Pas de temps pour finasser, je range mon engin contre le garage du grand-père et je file sonner à la porte de mes grands-parents, à Bailly-aux-Forges, évidemment.

« Bonjour Mémère ! » Cela me fait tellement plaisir de la voir, et puis elle est en pleine forme. Comme rajeunie. Ho ! J’oubliais qu’elle est encore une jeune grand-mère, cinquante-cinq ans seulement. Elle me regarde, étonnée :

« Laurence ? Non, ce n’est pas possible ! »

Et si Mémère, c’est possible ! Ta petite fille a bien grandi. Elle a vieilli aussi et elle a l’âge d’être grand-mère à son tour. Elle est devenue généalogiste familiale professionnelle, un peu grâce à toi qui l’emmenait dans la famille, pour discuter avec les uns, raconter des souvenirs avec les autres.

Mais cet après-midi, je n’ai pas le temps de m’étendre sur ma vie.
Je la fais courte pour Mémère et Pépère et passe à l’objet de ma visite. Ça tombe bien, mon grand-père est à la manœuvre, canif en main, planche à découper devant lui. Il prépare le plat familial avec un grand P : les escargots à la Bourguignonne.

Escargots à la Bourguignonne ou escargot de Bourgogne, c’est comme vous voulez ! L’essentiel, c’est le beurre persillé. Et le maître en la matière, c’est Pépère.

Si l’on respecte tout le processus pour se régaler à Noël, la première étape est la chasse aux escargots.

« Tu te souviens, Pépère, du jour où nous étions allés sur la route de Vaux ?
– La fois où nous sommes rentrés bredouilles ? ».

Je n’étais, alors, qu’une gamine d’une dizaine d’années.
À peine six kilomètres séparent Bailly-Aux-Forges et Vaux-Sur-Blaise. Mon grand-père avait l’habitude de trouver de très beaux escargots à cet endroit. Mais cette fois-là, pas l’ombre d’une coquille, pas une trace de gastéropode, rien.

Heureusement, l’industrie avait déjà inventé l’escargot en conserve et ces mésaventures ne nous empêchaient pas de nous régaler pour les fêtes.

« Au moins, cela évite toute la préparation », ajoute Mémère.

Elle n’a pas tort. Il faut d’abord débarrasser les petites bêtes des herbes toxiques pour l’homme, comme la ciguë. Puis ils doivent jeûner. Une quinzaine de jours plus tard, bien les arroser, éliminer ceux qui ne montrent pas le bout de leurs cornes, les laver un à un, soigneusement. Les asperger de gros sel et de vinaigre afin de les faire baver. Ensuite, les plonger 5 minutes dans de l’eau bouillante salée et vinaigrée. Les égoutter, puis les décoquiller et retirer le tortillon. Enfin passer à la cuisson en court-bouillon pendant quarante minutes, laissez tiédir, égoutter.

Ma grand-mère me remet les différentes étapes en mémoire :

« C’est ce que j’ai fait en août dernier, quand vous avez ramené tout un cageot d’escargots. »

Quel bon souvenir ! En 1973, alors que les escargots de Bourgogne devenaient très rares en Haute-Marne, la famille avait passé un mois de vacances à Castellane (Alpes-de-Haute-Provence). Mes parents avaient loué là-bas un cabanon. Un matin, après une ondée rafraîchissante, des centaines d’escargots avaient pointé leurs cornes. Nous les avions ramassés, installés dans une caisse en bois grillagée et ramenés en Haute-Marne. Castellane-Bailly-aux-Forges, près de sept-cents kilomètres en deux jours, jamais escargots n’avaient parcouru une aussi longue distance et si rapidement !
Et bien sûr, Mémère les avait préparés et congelés pour les Fêtes.

Voilà, le grand jour de la préparation finale est arrivé et j’ai la joie d’y participer de nouveau.

Il faut voir le grand-père sortir ses ustensiles. La vieille planche à découper, le canif qu’il sort de sa poche et déplie tranquillement. Il faut le voir couper le persil et l’ail, avec le petit couteau, pour préserver les saveurs. La cérémonie est immuable, j’ai toujours le sentiment que le temps est suspendu à ses gestes précis.
Il prend maintenant le beurre préalablement ramolli à température ambiante. Il mélange les trois ingrédients à la fourchette.
Il faut bien malaxer, saler au plus juste, ni trop, ni trop peu.

Pépère goûte le beurre d’escargot cru. Il fait tester le mélange par Mémère, puis m’en donne un peu. Quel honneur !

Accord unanime, c’est parfait !
Pépère prend un escargot, deux quand ils sont petits. Il les met dans une coquille, recouvre de beurre aillé et persillé, lisse la surface, pose l’escargot dans un plat. Mémère et moi faisons de même. J’adore ça ! Mettre l’escargot, le beurre dans la coquille, agencer correctement chaque pièce dans le plat, l’ouverture bien au sommet pour ne pas que le beurre s’écoule au réchauffage.

Voilà, c’est fini. Pépère essuie son canif, le range dans sa poche.

Moi, j’ai vu ce que je voulais voir. Il est temps de repartir pour le XXIe siècle. J’embrasse mes grands-parents.

Pépère demande :
« Tu vas faire des escargots à tes invités ?
– Ah non, maintenant, je vis dans le Finistère, les Bretons préfèrent les palourdes. Mais la farce est la même et j’avais besoin de ton savoir-faire ! »

Nota bene : j’ai souvent évoqué mes grands-parents, mais si vous lisez ce blog pour la première fois ou si vous avez oublié leur nom, Pépère s’appelait Marius Porte (1915-1986), Mémère était Andrée Cinet (1918-2008).

7 commentaires

  1. Je m’y croyais, revoyant mon grand-père « Louis » Marcel Musy préparant les bêtes à corne dans l’arrière salle de la salle commune du Café de la Gare à Menaucourt !!! Merci et bonnes fêtes !

  2. Après des années de préparation de palourdes farcies pour la famille, la paresse m’oblige à dire que je les achète maintenant toutes préparées mais bien sûr fraîches et surtout pas congelées.
    Merci pour la farce aux escargots
    Souvenir, souvenir, pour nos palourdes bien bretonnes.

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