Une porte en bois

Challenge photographique d’UPro-G, début avril, ne te découvre pas d’un fil. Se mettre à l’abri, franchir une porte en bois.

Nous sommes en Côte d’Or, au hameau de Suze, à Marcheseuil.

Je ne suis jamais allée là-bas, mais, il y a quelques années, j’ai fait appel à l’entraide géographique de Geneanet. Je cherchai un de mes arrière-grands-oncles, Georges Brault.

Georges est né à Gentilly, en Région Parisienne, le 18 décembre 1885. Avant lui, Mathilde Hillairet a déjà mis au monde trois enfants, Amélie Brault, mon arrière-grand-mère, une petite Mathilde, qui est décédée à deux mois, et Charles, pas tout à fait quatre ans à la naissance de son frère.

Mathilde et Auguste Brault, les parents de Georges, ne sont pas riches. C’est le moins qu’on puisse dire. Pire encore, leur situation financière se détériore au fil des années. En août 1890, quand un dernier garçon vient au monde, Gaston, c’est la catastrophe. Son mari sans travail, elle couturière, gagnant peu, Mathilde n’a plus le choix. Elle est obligée de commettre l’irréparable : confier ses quatre petits à l’Assistance Publique de Paris.

Avec ses frères et sa sœur aînée, Georges est emmené à Arnay-Le-Duc, à l’agence des enfants assistés de la Seine, puis placé chez les Labille, un couple de paysans sans enfants de Suze.

Le jeune garçon grandit là, tant bien que mal. Un gentil petit à n’en pas douter, de santé fragile.

À dix-huit ans, Georges est incapable de travailler. Il est atteint d’une tumeur goitreuse. À Arnay-Le-Duc, le médecin du Service des Enfants Assistés de la Seine, pose le diagnostic, décrit la tumeur. Elle occasionne de l’enrouement et des accès d’oppression. Georges ne tient même plus sur ses jambes, partiellement paralysées. Il est d’une faiblesse extrême.

Georges est de nouveau placé chez les Labille. Le service prend en charge les frais nécessaires à son entretien et les soins qu’il doit recevoir. Mais le jeune homme s’affaiblit de jour en jour. Rapport médical à l’appui, le directeur de l’agence de l’Assistance Publique demande une intervention chirurgicale.

Le 3 novembre 1904, Georges rentre en Côte d’Or, guéri après son séjour à l’hôpital Cochin.

En 1905, comme tous les garçons dans leur vingtième année, Georges se présente au recensement militaire. Cheveux châtains, yeux gris clair, visage ovale, gros nez, le jeune homme garde gravé dans son corps ses ennuis de santé. Il mesure un mètre quarante. Il est exempté.

Puis la Grande Guerre le rattrape. La France a besoin d’hommes, alors Georges est affecté au 16e Régiment de Chasseurs, le 15 janvier 1915, puis il passe au 13e régiment de dragons, à Melun, en juillet suivant.

Mais décidément même pour les services auxiliaires, ce n’est pas possible, Georges est réformé n°2 pour défaut de développement et rhumatisme. Il est renvoyé dans ses foyers le 6 novembre 1915.

Le jeune retourne de nouveau à Suze chez les Labille. Il y passe sa vie. Pour l’enfant assisté de la Seine, le village de Côte d’Or est son seul foyer. Georges ne se marie pas, n’a pas d’enfant. Il prend soin de sa nourrice, Jeanne Perrin, la femme Labille, à moins que ce ne soit-elle qui prenne soin de lui ?

1936, le recensement de population de Marcheseuil, garde trace de Georges : Suze, maison 56, ménage 47, individu 146, Brault Georges, 1885, Paris, cultivateur, chez divers. Divers employeurs pour le quinquagénaire.

Et ensuite ? J’ai fait appel à l’entraide géographique. Très rapidement, j’ai eu une réponse. Comme il m’est toujours difficile d’en parler, je laisse place au mail et aux photos qu’une généanaute bien bienveillante m’a adressées. Mille mercis à elle.

Bonjour,

Je me suis déplacée ce matin à la mairie de Marcheseuil et j’y ai trouvé la date du décès de Guillaume Labille : le 21/01/1912.

Par contre, il n’y a pas de trace du décès de son épouse Jeanne Perrin, ni de traces du décès de Georges Brault.

Je suis allée à Suze parler avec les personnes les plus âgées du hameau et j’ai pu discuter avec Monsieur Labille, qui est né en 1940. Il m’affirme qu’il ne fait pas partie de la famille de Guillaume Labille et Jeanne Perrin, mais se souvient des anciens qui parlaient encore de Georges Brault.

Il m’a dit que  » Georges Brault a terminé sa vie dans une grande misère et qu’il était contraint de passer dans certaines maisons avec une bâche (un sac en toile de jute) pour demander à manger. Certaines personnes lui donnaient du pain ou du fromage”.

Si l’on ne trouve pas trace de son décès dans les registres, c’est qu’il est très certainement décédé aux hospices de Beaune (le fameux hôtel dieu avec ses tuiles vernissées).

À cette époque les personnes sans famille, ou sans ressource, étaient transportées à Beaune pour y finir leur vie. Il en est probablement de même pour Jeanne Perrin épouse Labille.

Je me suis rendue sur le lieu de son ancienne maison qui était rachetée, mais qui est restée en l’état, et que les gens du village appellent encore la grange à Brault.

Je vous ai fait quelques photos.

On peut encore voir la minuscule pièce dans laquelle il logeait.

Je vais me rendre au cimetière de Marcheseuil pour chercher la tombe de Guillaume Labille, mais je suis persuadée qu’elle a été relevée et qu’elle n’existe plus.

Bien cordialement,

Sources :
– Archives départementales du Val-de-Marne, 1MI 002127, état civil de Gentilly, 1885.
– Archives de Paris, D3X4 184, répertoire enfants assistés de la Seine.
– Archives de Paris, D5X4 1063 matricule 96961, dossier d’admission de Brault Georges.
– Archives départementales de Côte d’Or, 10 M 376-11 à 17, recensements de population de Marcheseuil.
– Archives départementales de Côte d’Or, R 2402, registres matricules, classe de 1905, Auxonne, matricule 1370.

7 commentaires

  1. Quelle tristesse ! Je comprend que ça soit difficile d’en parler. Même s’ils sont morts depuis longtemps, même si on ne les a pas connus, le destin de certains de nos ancêtres ou collatéraux nous touche profondément.

  2. Quelle enquête ! T. va justement visiter les hospices de Beaune dans 15 jours. Je lui parlerai de cet ancêtre après son voyage

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