Amélie et ses frères, l’abandon

« Tu te rends compte ! Abandonner quatre enfants, le même jour ! » Voilà ce que disait Amélie Brault à sa petite fille. Jamais elle n’a compris, jamais elle n’a pardonné à ses parents qu’ils les aient abandonnés ses trois petits frères et elle, le 11 septembre 1890.

Cent vingt ans plus tard j’ai eu envie de savoir pourquoi et j’ai décidé de consulter les dossiers d’Amélie, Charles, Georges et Gaston aux archives de Paris. Cette démarche a été très émouvante, même pour moi qui n’ai pas connu la grand-mère Brault. J’ai été la première de la famille à consulter ces dossiers d’admission au Service des enfants assistés de l’Assistance publique. Les intéressés eux n’y ont jamais eu accès.

Amélie est née à Saint-Pierre-des-Corps, le 4 juillet 1879. A l’occasion d’une visite à ses parents, Mathilde Hillairet accouche. Elle avait rejoint Auguste Brault, son mari, rue Neuve Saint-Merry à Paris, un an plus tôt et cherchait du travail. Lui était outilleur.

Trois ans plus tard, la famille habite rue de la Harpe, dans le Ve arrondissement, quand Charles naît. Puis c’est le tour de Georges, en décembre 1885, rue de Fontainebleau, à Gentilly.

La famille Brault déménage souvent. La vie ne doit pas être facile, mais les enfants ne le savent pas.

Ils emménagent cette fois au 176 rue de la Glacière* à Paris, tout près du parc Montsouris. Le quartier est pauvre en cette fin de XIXe siècle. L’hiver 1890 est particulièrement rigoureux. Auguste « n’a pas d’ouvrage et ne gagne rien », Mathilde est couturière. Il est bien difficile de nourrir une famille et de payer un loyer de 300 F par an en gagnant en moyenne 1,50 F par jour.

Et puis Mathilde est de nouveau enceinte. Le 23 août, elle met au monde un quatrième enfant : Gaston.

Cette fois c’est trop. Mathilde a déjà obtenu 5 F de secours et le 11 septembre, il faut bien se résoudre à l’abandon.

Au commissariat de police du quartier Santé Petit-Montrouge, Auguste et Mathilde « déposent » leurs enfants.

Les fiches de renseignements égrainent toutes les mêmes choses : Ni le père, ni la mère n’ont plus leurs propres parents.
Oui, on a dit à la mère que l’admission à l’hospice des Enfants assistés n’était pas temporaire mais définitive.
Oui, on a dit à la mère qu’elle serait dans l’ignorance absolue des lieux où l’Enfant serait mis en nourrice. Qu’elle ne pourrait avoir aucune communication directe ou indirecte avec lui. Qu’elle pourrait seulement savoir, tous les trois mois, s’il était vivant ou décédé.

C’est froid un dossier administratif…

Pourtant je suis restée accrochée à une phrase sur ces quatre documents jaunis. Une phrase qui aurait peut-être apaisé la grand-mère Brault, si elle avait pu consulter son dossier :
« Le père et la mère abandonnent leur enfant parce qu’ils sont sans ouvrage, sans moyens d’existence, sans personne pour leur venir en aide, et parce qu’ils sont malades ».

Le fonctionnaire qui a reçu Auguste et Mathilde a même mentionné sur la fiche de renseignement du petit Gaston, qui n’a alors que trois semaines, « les époux Brault me paraissent de braves pères de familles qui abandonnent leur enfant que contraints et forcés par la misère ». Et il a souligné « de braves pères de familles ».

Ni Amélie, ni ses frères n’ont revus leurs parents. Quand Amélie s’est mariée en 1908, elle ne savait pas si ses parents étaient morts ou vivants. Aujourd’hui je n’ai pas encore trouvé où et quand ils sont décédés… Alors je continue à chercher, pour Amélie, la petite fille qui jouait au parc Montsouris, cent vingt ans avant un de ses arrière-arrière-petit-fils.

* Le 176 rue de la Glacière correspond aujourd’hui au 34 rue de l’Amiral Mouchez.

Une dizaine d’années de recherches généalogiques s’est écoulée depuis la rédaction de cet article. Aujourd’hui, je connais mieux Amélie et ses frères.
Des quatre enfants abandonnés, mon arrière-grand-mère est la seule à avoir eu des descendants.
La vie n’a pas toujours été facile pour elle et ses frères, même à l’âge adulte.
Promis, je vous en dirai davantage dans quelques semaines.

5 commentaires

      1. Merci à @brevesdantan qui vient de découvrir qu’Amélie et ses frères ont eu une sœur, Mathilde, en 1881. Cette petite n’a malheureusement vécu qu’un peu plus d’un mois.

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